Recherche et expertise
Communiqué de presse

Une étude démontre que l’Homme de Néandertal chassait le mammouth pour se nourrir et pour construire des habitations plusieurs milliers d’années avant l’Homme moderne.

La pratique ou non de la chasse aux mammouths par les Néandertaliens pour se procurer de la nourriture est particulièrement discutée. Une étude réalisée dans le cadre d’un projet franco-ukrainien impliquant le CNRS, le Muséum national d’Histoire naturelle et l’Académie Nationale des Sciences d’Ukraine, vient de proposer l’hypothèse que l’Homme de Néandertal utilisait également les os des mammouths comme matériau de construction pour leurs habitations, et ce bien avant l’Homme anatomiquement moderne. Les résultats de cette étude, réalisée par Laëtitia Demay et Stéphane Péan, et coordonnée par Marylène Patou-Mathis et Larissa Koulakovska1 viennent d’être publiés dans la revue Quaternary International.

L’hypothèse selon laquelle l’Homme de Néandertal aurait utilisé de mammouths comme matériau de construction est basée sur l’analyse du matériel faunique du site de Moldova I situé dans la vallée du Dniestr en Ukraine, en particulier du niveau 4 riche en vestiges archéologiques du Paléolithique moyen. Datant de l’époque inter-pléniglaciaire du Dernier Glaciaire (MIS 3)2, elle a livré 40 000 artefacts lithiques attribués à la culture moustérienne3 et environ 3 000 ossements de mammifères, essentiellement de mammouth laineux (Mammuthus primigenius).

Plusieurs zones ont été dégagées : une fosse remplie d’ossements, différentes zones d’activités (de boucherie, de production d’outils), 25 foyers et une accumulation circulaire composée d’ossements de mammouths décrite initialement comme étant une structure d’habitat confectionnée par les Néandertaliens. Les structures d’habitat en ossements de mammouth avérées au Paléolithique supérieur, en Ukraine et en Russie, ont été réalisées par les Hommes anatomiquement modernes (Homo sapiens) en particulier de culture épigravettienne4.

Couche 4 de Molodova I. Vue sur l’accumulation circulaire en ossements de mammouths

© I. K. Ivanova

L’étude archéozoologique menée porte sur les restes des grands mammifères issus de la couche 4 du gisement de Molodova I. L’objectif était de comprendre les modalités d’acquisition et de gestion des ressources animales, notamment du mammouth, à des fins alimentaires et non-alimentaires, et plus particulièrement l’utilisation des os comme matériau de construction.

Le nombre de mammouths est estimé à au moins 15 individus, appartenant à toutes les classes d’âges et aux deux sexes, morts au cours de différents épisodes, à proximité ou sur le site même.

Les modifications taphonomiques5 dues aux conditions climato-édaphiques6, dont la percolation (infiltration de l’eau) et aux racines des plantes indiquent l’exposition prolongée à l’air libre des restes et leur localisation dans des zones creuses, comme dans la fosse et à la base de l’accumulation circulaire.

Les traces des carnivores, principalement des hyénidés, sont rares, ce qui prouve que l’assemblage osseux ne résulte pas de leur action.

Par contre, les marques anthropiques sur les os montrent que la viande de mammouth a été consommée par les Néandertaliens. La présence de séries de stries et de traces d’ocre sur plusieurs os peut être interprétée comme des expressions symboliques. Par ailleurs, les ossements de mammouth ont été délibérément sélectionnés (os long et os plats, défenses, vertèbres en connexion) et agencées de manière circulaire par les Hommes.

Modifications anthropiques sur les restes fauniques de la couche 4 de Molodova I : (a) stries de boucherie sur une côte de mammouth (b) stries d’extraction sur une défense de mammouth

© S. Péan

Les ossements et la viande de mammouth ont pu être acquis sur plusieurs individus, dans des contextes et des temps variés, par des collectes sur carcasses sèches, sur carcasses fraîches (charognage) et par la chasse.

La structure circulaire en ossements de mammouth semble correspondre à la base d’une structure en bois ou plus probablement à un abri coupe-vent. Il ne s’agit aucunement d’une habitation couverte comme celles du Paléolithique supérieur. La présence à l’intérieur d’une quinzaine de foyers, d’outils lithiques ainsi que des déchets de boucherie liés à des pratiques culinaires est caractéristique d’un espace domestique. Ce gisement peut être assimilé à un campement principal avec des occupations récurrentes. Les Néandertaliens seraient donc les plus anciens Hominidés à avoir utilisé des ossements de mammouth pour construire des structures d’habitations.

Notes

1. Laëtitia Demay est doctorante à l’Université de Liège en association avec le Muséum national d’Histoire naturelle (UMR 7194 MNHN/CNRS) Stéphane Péan est Maître de conférences au Muséum national d’Histoire naturelle (UMR 7194 MNHN/CNRS) Marylène Patou-Mathis est Directeur de Recherche au CNRS (UMR 7194 MNHN/CNRS) Larissa Koulakovska est Directeur du Musée d’archéologie de Kiev.

2. Epoque inter-pléniglaciaire du Dernier Glaciaire (MIS 3) : il s’agit d’une période d’instabilité climatique entre deux périodes glaciaires. Le MIS (Marine Isotope Stage) ou OIS (Oxygen Isotope Stage) correspond à des épisodes climatiques qui vont être définis selon le rapport entre les isotopes de l’oxygène de masses atomiques 16 et 18, prélevés dans les sédiments marins ou les calottes glaciaires. Le contenu varie selon la température et le volume de glace sur Terre. Le stade isotopique 3 est observé de 58 900 à 27 600 ans B.P.

3. Culture moustérienne : Le Moustérien est la principale manifestation culturelle du Paléolithique moyen en Eurasie (environ 300 000 à 30 000 avant le présent), principalement l’œuvre de l’Homme de Néandertal, notamment en Europe, mais il existe également des industries moustériennes produites par des humains anatomiquement modernes au Proche-Orient.

4. Culture épigravettienne : il s’agit d’un faciès culturel qui suit le Gravettien et qui s’est développé entre 19 000 et 10 000 ans B.P., en Italie et en Europe orientale.

5. modifications taphonomiques : La taphonomie est la discipline de la paléontologie qui étudie tous les processus qui interviennent après la mort d'un organisme jusqu'à sa fossilisation ainsi que la formation des gisements fossiles.

6. conditions climato-édaphiques : facteurs de modification de la matière, liés au type de climat et au type de sols.

Référence

DEMAY L., PÉAN S., PATOU-MATHIS M., 2012. “Neanderthal and mammoth. Terms of mammoth use between food and construction during the Middle Paleolithic : Zooarchaeology applied to the layer 4 of Molodova I (Ukraine)”. Quaternary International, pp. 212-226.

Contact presse Musée de l'Homme

Isabelle Gourlet
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