La reproduction sexuée reste compétitive dans le monde vivant
Une équipe de chercheurs français, notamment du Muséum national d’Histoire naturelle et du CNRS1, vient de publier dans la revue scientifique PLoS ONE les résultats d’une modélisation du diagramme de L’Origine des espèces de Charles Darwin. Les scientifiques expliquent pourquoi, malgré l’avantage à court terme que procure la reproduction asexuée, c’est la reproduction sexuée qui prédomine dans le monde vivant.
On a l’habitude de présenter la diversité des êtres vivants sous la forme statique d’une collection d’espèces. Comme l’a montré Darwin, cette vision est fausse, les formes vivantes actuelles constituent un « instantané » dans une dynamique constante où des lignées se différencient et s’éteignent. C’est à partir de ce modèle que les scientifiques ont tenté de revisiter la problématique du maintien du sexe dans les lignées d’êtres vivants.
Le sexe est fréquent chez les êtres vivants pluricellulaires. Cette observation banale est devenue une énigme lorsque, dans les années 1970, des évolutionnistes ont montré que la reproduction asexuée était, en général, au moins deux fois plus efficace que la reproduction sexuée. Schématiquement, le sexe consiste à se mettre à deux (un mâle et une femelle) pour faire ce que l’une des deux (la femelle) aurait aussi bien pu faire seule, en se clonant, donc. L’apparition d’une femelle asexuée dans une espèce sexuée devrait donc aboutir, en quelques dizaines de générations, à la disparition du sexe (et, accessoirement, des mâles) dans l’espèce. Ceci s’est produit dans une petite part des formes actuelles comme par exemple chez certains lézards, poissons, insectes ou plantes2. Or on sait qu’une large majorité des espèces est sexuée. La question est donc de comprendre comment le sexe, défavorisé à court terme est maintenu dans une majorité de lignages d’êtres vivants.
On sait par ailleurs que, grâce au brassage génétique qu’il induit, le sexe fournit deux avantages aux populations d’êtres vivants. D’une part, le sexe leur permet de disposer d’une diversité de combinaisons génétiques qui aident à l’adaptation à des situations nouvelles. D’autre part, en mettant en contact des génomes différents et en les recombinant, le sexe permet de se débarrasser plus efficacement des mutations défavorables. Le problème, c’est que ces avantages se situent à l’échelle de la population, de la lignée évolutive et ne sont vraiment opérants qu’à long terme tandis que l’avantage à la reproduction asexuée donné plus haut est immédiat et se situe à l’échelle des individus.
Pour résoudre cette question, les scientifiques ont formalisé (c'est-à-dire développé un modèle formel, sous forme informatique) le diagramme qui constitue la seule figure de L’Origine des espèces de Charles Darwin. Dans ce diagramme, les lignées évolutives produisent constamment de nouvelles formes qui sont plus ou moins différenciées les unes par rapport aux autres. Le temps s’écoule de bas en haut et la différence écologique entre les différentes lignées se mesure par leur distance horizontale. Les lignées qui sont proches d’autres ont alors plus de chances de s’éteindre du fait de la compétition, que des lignées se trouvant moins proches.
Dans ce modèle, les scientifiques ont laissé, au cours du temps, apparaître des formes asexuées, s’éteindre les lignées souffrant le plus de la compétition avec les autres et même évoluer la probabilité pour une lignée de voir apparaître une forme asexuée. Sous diverses conditions, on trouve ainsi des structures comparables aux structures observées dans la nature c'est-à-dire des lignées majoritairement sexuées et des lignées, souvent récentes pratiquant la reproduction asexuée.
La sélection, dans ce modèle, se situe d’une part entre individus à l’intérieur de chaque lignée (où elle aboutit à la perte du sexe, les femelles asexuées laissant plus de descendants que les autres) et entre lignages évolutifs (où les lignages sexués se différenciant plus, s’éteignent moins). C’est l’équilibre dynamique entre ces deux forces opposées qui serait responsable du fait que la reproduction sexuée reste majoritaire dans le monde vivant.
Notes
1. Laboratoire Ecologie, systématique et évolution (CNRS/Université Paris-Sud) et Laboratoire Origine, structure et évolution de la biodiversité (CNRS/MNHN).
2. Seule la lignée des mammifères est strictement incapable de produire naturellement des femelles parthénogénétiques (formes asexuées).
Référence
De Vienne DM, Giraud T, Gouyon P-H (2013) Lineage Selection and the Maintenance of Sex. PLoS ONE 8(6): e66906. doi:10.1371/journal.pone.0066906
Les recherches ont été financées grâce à la Chaire Modélisation Mathématique et Biodiversité (MMB) de Véolia Environnement-Ecole Polytechnique-Muséum national d’Histoire naturelle-Fondation X.
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