Comment les fleurs se protègent-elles du rayonnement solaire ?
Lorsque nous nous exposons au soleil, notre épiderme synthétise de la mélanine. Cet ensemble de pigments nous protège des radiations UV potentiellement nocives pour nos cellules et notre ADN. Pour améliorer cette protection, nous pouvons avoir recours à un filtre ultraviolet externe, la crème solaire. Des tissus photoprotecteurs du même type se rencontrent chez une grande diversité d’organismes. Ils ont déjà été décrits chez les primates humains et non humains, les crustacées, les insectes, les plantes et même les bactéries.

Rose dont les pétales présentent une pigmentation plus prononcée autour des organes sexuels. Jardin des plantes, août 2021
© MNHN - F. Jabbour
Les cellules végétales fabriquent différents pigments aux fonctions variées. Les chlorophylles sont indispensables à la photosynthèse. Les anthocyanes (rouges ou bleues), les caroténoïdes (orange à jaunes) et les flavonoïdes (rouges à jaunes) assurent l’attraction des pollinisateurs. Ces derniers, en absorbant en outre les ultraviolets, jouent un rôle photoprotecteur. Chez certaines fleurs dont la corolle est en forme de coupe ou de bol, une pigmentation aux flavonoïdes plus prononcée de la base des pétales protège le pollen en absorbant les UV, qui ne sont dès lors plus réfléchis vers les étamines. Les UV contribuent à dégrader et réduire la viabilité du pollen, siège de la production des gamètes mâles. Dans le contexte actuel de changements globaux et de fragilisation de la couche d’ozone, qui assure l’absorption d’une partie du rayonnement solaire incident, comment les organismes végétaux réagissent-ils à la quantité croissante d’ultraviolets reçus ?
Des biologistes se sont en particulier demandé si, au cours du XXe siècle, la pigmentation photoprotectrice des fleurs s’était étendue en réponse à la baisse du niveau d’ozone, interceptant ainsi une portion plus importante des UV émis par le soleil et protégeant plus efficacement le pollen. Pour tenter de répondre à cette question, ces chercheurs ont mesuré la proportion de la surface du pétale riche en flavonoïdes en faisant porter leurs analyses sur des espèces appartenant à diverses lignées évolutives de plantes à fleurs et sur des échantillons récoltés en différents points du globe au cours du siècle dernier. Le recours aux collections d’histoire naturelle s’est alors imposé de lui-même. Grâce aux très riches collections de spécimens conservés dans cinq herbiers d’envergure, dont celui du Muséum, plus de 1 200 spécimens (représentant 42 espèces incluses dans 18 familles d’angiospermes) récoltés dans tout l’hémisphère Nord et en Australie ont pu être analysés. Si les pigments visibles par l’œil humain sont dégradés dans les spécimens végétaux séchés, les flavonoïdes, eux, ne le sont pas, et peuvent être détectés sous lumière UV.
Comment faire un herbier ?

Augmentation de la zone pigmentée photoprotectrice (noire) dans le tissu des pétales de Potentilla crantzii (Rosaceae) (A) en l’espace de moins d’un siècle. Photos prises sous lumière UV : la zone pigmentée aux flavonoïdes occupe la moitié de la hauteur du pétale dans une fleur (B) alors qu’elle concerne la totalité du pétale dans une autre fleur (C).
© Koski et al. 2020
A) Spécimen d’herbier de Ranunculus acris (Ranunculaceae). B) Gros plan sur une fleur et des boutons floraux du même spécimen. C) Un pétale de la fleur épanouie, pris en photo sous lumière UV. La base se révèle plus pigmentée que le reste de l’organe
© "A-B Hauts-de-Seine, 1921-5, collecte C. Legros, MNHN-P-P02559486bCC BY Renobota MNHN C : © Université Paris-Saclay/ MNHN/ Pauline Delpeuch D, E, F : CC Koski et al., 2020"Grâce à des photographies de pétales de fleurs d’herbiers, éclairés par une lumière de longueur d’onde adaptée, et après un traitement statistique des données en regard de l’évolution des taux d’ozone, les auteurs de l’étude ont pu identifier une tendance générale dans leur échantillonnage. Dans l’ensemble, la surface du pétale dont les pigments absorbent les UV a augmenté de 2 % par an sur la période considérée, soit environ 80 ans (de 1940 jusqu’à aujourd’hui). La zone pigmentée du pétale qui absorbe les UV s’étend au fil des années, et ce d’autant plus que la quantité d’ozone troposphérique décroît au cours du temps, entraînant une accélération de l’exposition aux UV, en particulier chez les espèces dont les anthères sont exposées aux UV ambiants, c’est-à-dire celles qui ont des corolles en forme de coupe plutôt qu’en forme de tube.
Le mécanisme physiologique responsable de cette augmentation de surface pigmentée dans les pétales reste inconnu. Les changements dans la pigmentation florale découleraient soit d’une régulation de la production de flavonoïdes photoprotecteurs au sein même de la fleur, soit d’une réponse globale de la plante à l’exposition aux UV. De plus, cette étude ne permet pas de conclure sur la part de l’adaptation (l’héritabilité de la pigmentation florale absorbant les UV a pu être montrée chez quelques espèces de plantes à fleurs) et sur celle de la plasticité phénotypique (changement d’un trait au cours de la vie d’un individu en réponse à certaines conditions environnementales) dans ce phénomène.
Il est important de réaliser que les changements globaux pourraient avoir un impact sur la pollinisation et par conséquent sur le succès reproducteur des plantes à fleurs, via leur effet sur le phénotype floral. La préférence des pollinisateurs pour certains patrons de pigmentation, correspondant au contraste entre zones absorbant et zones réfléchissant les UV, a été documentée chez de rares espèces dont il n’est pas question dans cette étude. Des fleurs dont la corolle deviendrait totalement pigmentée aux flavonoïdes photoprotecteurs perdraient en attractivité pour les animaux assurant le transfert de pollen de fleur en fleur.
Extrait de l'ouvrage La Terre, le vivant, les humains, MNHN/La Découverte
Le déclin des insectes pollinisateurs
Auteur

Florian Jabbour
Professeur du Muséum national d'Histoire naturelle, à l'Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité (UMR 7205), responsable scientifique de collections en Botanique (Herbier de Paris) et Paléobotanique

La Terre, le vivant, les humains
La Terre, le vivant, les humains
- Coédition Muséum national d'Histoire naturelle / La Découverte
- 2022
- Sous la direction de Jean-Denis Vigne et Bruno David
- 196 × 249 mm
- 420 pages
- 45 €

