Recherche scientifique

Le site paléontologique de Bolca, en Italie… des sardines et des aloses par milliers !

Le Muséum abrite une collection considérable de poissons fossiles, dont plusieurs spécimens encore non identifiés en plus des holotypes historiques de nombreux taxons provenant des sites fossilifères de Bolca en Italie. Pendant son séjour scientifique au Muséum, financé par le programme européen Synthesys, Giuseppe Marrama, chercheur à l’Universita degli Studi de Turin, a procédé aux analyses morphométriques et ostéologiques de dizaines de spécimens extraordinairement bien fossilisés et conservés au Laboratoire de Paléontologie.

Le site fossilifère de Bolca, non loin de Vérone en Vénétie (Italie), est une véritable « mine d’or » pour les spécialistes de poissons fossiles. Parmi ces vestiges exceptionnellement bien conservés, et datant d’environ 50 millions d’années, on pourra rencontrer des sardines, des harengs, ou encore des représentants de barracudas… un trésor ichthyologique !

Les fossiles extraordinairement conservés de ce site paléontologique sont connus depuis le 16e siècle. L’abondance et la qualité exceptionnelle des fossiles, et le rôle qu’ils ont joué dans l’histoire de la paléontologie, permettent d’une part aux paléontologues et zoologistes d’étudier ce site exceptionnel depuis deux siècles. D’autre part, ils font de ce site de dépôts de Bolca l’un des plus importants sites paléontologiques du monde.

Ce site constitue l’un des plus riches et mieux connus pour sa faune ichthyologique1 fossile. Ces fossiles sont certainement les éléments les plus remarquables et les mieux étudiés de la faune de Bolca. Plus de 100 000 spécimens ont été collectés dans les calcaires feuilletés pendant ces quatre derniers siècles, menant à la description de près de 250 taxons. Du fait de l’abondance des spécimens et de leur extraordinaire état de conservation, les fossiles de poissons de Bolca constituent une source potentielle remarquable d’informations sur l’évolution des communautés biologiques des zones marines peu profondes du Paléogène (il y a environ 40 millions d’années). Malheureusement, une grande partie de cette faune n’est toujours pas décrite ou nécessite d’être révisée.

Dans le cadre de ses travaux, Giuseppe Marrama souhaite compléter les lacunes existant au sein de cette faune de poissons tant d’un point de vue paléobiologique2 que paléo-environnemental3. Il aspire également à proposer une perspective évolutionniste expliquant la radiation des poissons téléostéens4 modernes.

Ces dernières années, Giuseppe Marrama a concentré ses travaux de doctorat sur l’étude du groupe de poissons le plus abondant parmi les assemblages ichthyologiques de Bolca : les clupéomorphes (sardines, harengs, anchois…). Malgré leur abondance, les poissons clupéomorphes de Bolca ont été relativement peu étudiés depuis la fin du 19e siècle lorsque Lioy, en 1866 a identifié quelques nouvelles espèces sans toutefois les décrire ni fournir de documentations iconographiques dignes de ce nom.

Une large étude a été menée, fondée sur l’analyse morphométrique5 et ostéologique6 de centaines de spécimens très bien préservés et conservés dans plusieurs Muséums. Ces travaux ont permis l’étude systématique7 et taxonomique8 des clupéomorphes de Bolca et la re-description de la célèbre sardine “Clupea” catopygoptera, la définition de nouveaux taxons incluant le « hareng rond » Trollichthys bolcensis ainsi que le plus ancien anchois identifié à ce jour Eoengraulis fasoloi.

Les travaux de Giuseppe Marrama ont également porté sur les résultats d’une enquête systématique d’environ 300 fossiles découverts lors de récentes excavations réalisées entre 1999 et 2011 par le Museo Civico di Storia Naturale di Verona. Ces recherches ont mené à une étude paléo-écologique quantitative ayant pour but la description de la structure paléo-communautaire d’un ensemble de poissons provenant de deux sites principaux de Bolca : Pesciara et Monte Postale.

En outre, l’analyse taphonomique9 et des conditions de conservation des fossiles in situ (ex. fossile complet ou partiel, squelette articulé ou en désordre…) ont permis de décrypter, pour la première fois, les processus biostratonomiques10 ayant contribué à l’accumulation de squelettes de poissons. D’autres études ont porté sur les motifs d’occupation morphospatiale11 et la diversité morphologique des groupes de poissons fossiles de Bolca dans le cadre d’un essor écologique et d’une diversification des poissons tropicaux marins actuels à la suite de la crise biologique qui a eu lieu à la fin du Crétacé (il y a environ 66 millions d’années). Ces recherches ont été réalisées via des analyses morphométriques. La comparaison des populations de poissons de Bolca avec celles des zones marines peu profondes actuelles a fourni de nouvelles pistes pour comprendre l’évolution des peuplements ichthyologiques actuels des zones marines peu profondes.

Ces travaux lui ont permis d’enquêter sur la pertinence systématique, paléo-écologique et biogéographique de nouveaux clupéomorphes. Ces nouvelles données confirment que ce groupe de poissons présente une bien plus grande diversité sur le site de Bolca qu’on pouvait le penser initialement. Giuseppe Marrama a pu analyser de nouveaux genres et espèces et ainsi proposer qu’un groupe ancien de harengs a vécu pendant une plus longue période de temps et sur une plus grande zone géographique que ce qui avait été suggéré dans le passé.

Le projet de Giuseppe Marrama a également porté sur l’analyse de groupes de poissons connus sous le nom de barracudina (famille des Paralepididae), reconnaissables à leur corps très fin et allongé comme celui des brochets qui vivent aujourd’hui principalement en eau douce. L’étude de ces spécimens, dont l’holotype est conservé au Muséum, a fourni de nouvelles informations concernant l’évolution de ce type de prédateurs utilisant la méthode de chasse dite « à l’affût » dans des zones aquatiques peu profondes.

L’étude des collections de poissons fossiles du Muséum va donc accroître nos connaissances relatives à l’ostéologie, la systématique, la paléo-écologie et la biogéographie du site italien de Bolca. Grâce à cette bourse Synthesys, l’étude détaillée de ces spécimens permettra une analyse plus large et complète de la paléobiodiversité des populations de poissons d’un des plus riches sites fossilifères de l’Eocène. Les recherches menées sur les poissons fossiles de Bolca et conservés au Muséum à Paris vont permettre de compléter les connaissances relatives à la faune ichthyologique Eocène et contribueront à l’exploitation scientifique du patrimoine paléontologique européen.

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Vue du site de Pesciara, Bolca, Italie

© MNHN

Le taxon le plus commun parmi les populations de poissons de Bolca, la sardine Éocène Bolcaichthys catopygopterus

© MNHN

Holotype historique du barracudina de l’Éocène Holosteus esocinus conservé au Muséum national d’Histoire naturelle

© MNHN

Notes

1. relative aux poissons

2. connaissance de la vie passée

3. relatif aux environnements du passé

4. poissons dont les nageoires possèdent de longs rayons

5. fondée sur la variation géométrique d’objets ou d’organes tels que les os

6. fondée sur l’étude des os

7. qui consiste à classer les animaux, les plantes et les minéraux et roches

8. qui consiste à définir les groupes d’animaux, de végétaux et de minéraux et de roches, et à les nommer

9. relative à la façon de laquelle les objets sont enfouis dans le sol

10. processus biologiques ayant modifié les strates d’un gisement

11. permettant d’imaginer les formes et structures d’un organisme dans un espace donné