Recherche scientifique

Mimiquerie… pourquoi certains prédateurs ressemblent à leurs proies ?

Dans le cadre de sa visite au Muséum national d’Histoire naturelle, Alice Exnerova a souhaité acquérir de nouvelles informations relatives à l’évolution des patrons de coloration ou des ornementations du corps de certains animaux pour dissuader les prédateurs de les attaquer.

Les colorations d’alerte et la mimiquerie- phénomène permettant à un être vivant de ressembler à un autre - chez les animaux ont suscité l’intérêt de nombreux biologistes tels que Darwin et Wallace entre autres. Malgré les efforts considérables de la recherche pour comprendre l’évolution et le fonctionnement de ces phénomènes, de nombreuses questions subsistent et plusieurs aspects intrigants des relations proies-prédateurs restent toujours mal compris.

Dans le cadre de sa visite au Muséum national d’Histoire naturelle, financée par le programme européen Synthesys, Alice Exnerova se propose d’analyser l’évolution des patrons de coloration aposématique1 dans l’un des cas les plus impressionnants de mimiqueriedite Müllerienne2.

L’intérêt d’Alice Exnerova se porte plus précisément sur ce qu’on appelle le complexe mimétique chez des insectes afro-tropicaux qui permet à certaines punaises du genre Phonoctonus, et à leurs proies, des insectes dits « tâcheurs de coton » du genre Dysdercus, de se ressembler traits pour traits.

Ces punaises carnivores, de la famille des Reduviidae, constituent un large groupe de punaises prédatrices, se nourrissant principalement d’autres groupes d’insectes. Les espèces du genre Phonoctonussont les prédateurs spécifiques des insectes phytophages3 dits « tâcheurs de coton » (Dysdercus) et d’autres genres de la famille des Pyrrhocoridae. Les espèces de Phonoctonus et Dysdercus possèdent une coloration aposématique remarquable, mettant en jeu des pigments jaune et orange (ptérines) combinés à des motifsmélaniques (de couleur noire). Encore plus étrange, bien que les couleurs varient considérablement au sein des deux genres, les motifs de couleurs chez certaines espèces de Phonoctonus et Dysdercus sont extraordinairement similaires. En outre, au sein de chaque genre, plusieurs espèces présentent des variations chromatiques les faisant ressembler à des espèces de l’autre genre.

La ressemblance mimétique entre ces deux genres est probablement liée aux avantages mutuels de la mimiquerieMüllerienne, puisque les espèces des genres Phonoctonus et Dysdercus ont recours à des modes de défenses chimiques et la mimiquerie est,vraisemblablement, une adaptation contre une plus grande gamme de prédateurs chassant à vue (ex. oiseaux, lézards).

Bien que l’on connaisse cette association mimétique depuis longtemps, aucune analyse de l’évolution des motifs de coloration et de leurs variations n’existe à ce jour.

L’approche méthodologique consiste à combiner la morphologie structurelle et la classification des motifs de coloration, associée à des analyses phylogénétiques et biogéographiques. Les données recueillies devraient permettre de tester des hypothèses d’évolution de la mimiquerie et des variations mimétiques4 :

  1. À partir de quand les ressemblances mimétiques ont-elles évoluées au sein de Phonoctonus en comparaison avec l’évolution chromatique chez Dysdercus ?
  2. L’évolution des complexes mimétiques est-elle fondée sur l’advergence5, la convergence ou sur des évolutions parallèles ?
  3. Comment s’effectue la composition d’une espèce et quelle est la distribution géographique des complexes mimétiques particuliers ?
  4. Se peut-il que les espèces chromatiquement polymorphes de Phonoctonusappartiennent à plusieurs complexes distincts ?
  5. 1) Quel est le niveau de perfection des ressemblances entre espèces utilisant le même complexe mimétique ?
    2) Les ressemblances mimétiques concernent-elles simultanément les couleurs et les motifs mélaniques ?
  6. 1) Quels caractères mimétiques tendent à varier au sein des espèces polymorphiques ?
    2) Quelles sont les structures impliquées dans les motifs de couleurs liés au mimétisme ?
    3) Existe t’il des contraintes à ces similarités de mimétisme de coloration ?
  7. Quels sont les genres et espèces de punaises impactés par ces complexes mimétiques ?

Le Muséum national d’Histoire naturelle abrite des collections importantes d’espèces Afro-tropicales de Reduviidae et de Pyrrhocoridae ainsi que d’autres familles d’hétéroptères (dont font partie les punaises) potentiellement impliquées dans ces complexes mimétiques. De nombreuses espèces ont été collectées dans des localités variées sous forme de séries nécessaires à l’estimation du polymorphisme intraspécifique de ces motifs de couleurs et de la présence géographique simultanée de morphes de couleurs6.

Alice Exnerova est Professeur associé au Département de Zoologie de la Charles University de Prague (Rép. tchèque). Ses travaux portent sur l’évolution et le fonctionnement des signaux d’alerte et de la mimiquerie chez les insectes et sur le comportement des prédateurs. Alice Exnerova procède en combinant des expériences comportementales avec des insectes et leurs proies (principalement des oiseaux), et des analyses phylogénétiques7. Elle aspire à apporter des réponses aux questions que la communauté scientifique se pose concernant le fonctionnement et la mise en place des signaux d’alerte, de la mimiquerie, et d’autres modes de défenses contre les prédateurs.

Phonoctonus fasciatus dor

© MNHN

Dysdercus nigrofasciatus dor

© MNHN

Dysdercus

© MNHN

Phono dysde aldabra

© MNHN

Notes

1. couleurs ou ornements du corps de certains animaux qui dissuadent les prédateurs.
2. ressemblance par leur apparence d’une ou plusieurs espèces non comestibles, réduisant considérablement la prédation par rapport aux autres espèces-proies.
3. consommant des végétaux.
4. polymorphisme mimétique.
5. évolution d’une mimique pour ressembler au mieux à un modèle.
6. individus partageant une ou plusieurs caractéristiques similaires, dans le cas présent la couleur.
7. recherche des liens de parenté entre espèces.