Recherche scientifique

Mêler biologie moléculaire et morphologie pour en découdre avec la systématique des Photinae…

La diversité des mollusques est particulièrement riche dans les environnements marins tropicaux. Parmi ces animaux, la famille des Photinae constitue un vaste groupe de gastéropodes bien représenté au sein des faunes vivant dans des eaux peu profondes. Leurs coquilles, de taille relativement réduite, sont ornées de magnifiques ornementations aux motifs étonnants et souvent riches en couleurs. On pourrait penser que cette sous-famille (Photinae), dotée de certaines espèces vraiment remarquables, aurait fait l’objet d’études approfondies dans le passé. Eh bien non, pas du tout si l’on en croit les dernières analyses moléculaires qui apportent un nouvel éclairage à la taxonomie des Photinae, rendant obsolètes de très nombreuses publications, même les plus récentes ! C’est ce que Koen Fraussen nous raconte aujourd’hui, en visite au Muséum national d'Histoire naturelle dans le cadre du programme SYNTHESYS.

Les relations phylogénétiques (de parenté évolutive) au sein des Photinae et des Buccinidae par rapport aux Nassariidae ont déjà fait l’objet de nombreux débats dans le passé. Par exemple, Haasl, en 2000, considérait que les Photinae constituaient le groupe-frère des Nassariidae. Et il a fallu attendre 2016, grâce à des analyses moléculaires réalisées par Galindo et son équipe, pour que les Photinae soient rattachés à la famille des Nassariidae. Mais, les particularités taxonomiques au sein des Nassariidae sont clairement distinctes de celles des Buccinidae, avec des radiations géographiques plus restreintes qu’on le pensait initialement et une diversification conchylicolement plus étendue et compliquée. Les connaissances dont nous disposons actuellement concernant le niveau générique ou spécifique du groupe des Photinae, sont, au moment où nous parlons, principalement fondées sur les caractéristiques conchylicoles (de la coquille). Il s’agit des ornementations des coquilles, de la morphologie de la protoconche (coquille initiale), et de l’interprétation de ces caractères sur lesquels ont été fondés les liens de parenté évolutive entre les Photinae et les Buccinidae. Par conséquent, afin d’y voir plus clair entre tous ces groupes, il est aujourd’hui essentiel de réviser l’ensemble des taxons jusqu’ici considérés comme appartenant aux Photinae.

À l’heure actuelle, les Photinae comprennent 77 espèces décrites et acceptées comme valides, et jusqu’ici réparties dans sept genres. La position taxonomique de tous ces taxons a besoin d’être ajustée. Les données morphologiques des coquilles et les données moléculaires au sein de cette sous-famille se comportent conformément à ce que les chercheurs observent chez les Nassaridae. Les relations phylogénétiques au sein des groupes de l’Atlantique (Caraïbes) et du Pacifique ouest-indonésien requièrent de nouvelles études afin de définir quelles entités taxonomiques (par exemple le genre Antillophos) appartiennent à ces faunes. En outre, les relations phylogénétiques entre les espèces collectées dans l’ouest de l’Océan indien (à l’est de l’Afrique et de Madagascar) et celles collectées dans le Pacifique ouest ont besoin d’être comparées si l’on veut déterminer le degré d’endémisme au sein des deux faunes et définir les faunes bio-géographiquement importantes.

Une vaste collection de Photinae a été collectée à l’occasion de plusieurs suivis de biodiversité organisés principalement par le Muséum national d'Histoire naturelle, Pro-Natura International (PNI) et l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). Quelques centaines de spécimens ont été séquencées et stockées dans la collection moléculaire du Muséum national d'Histoire naturelle. D’après ces informations, il existe un grand nombre d’espèces non encore nommées en plus des 77 déjà décrites.

Ces dernières années, Koen Fraussen a publié plus de 20 nouvelles espèces de Photinae et un certain nombre d’espèces « oubliées ». Il fait partie de ces scientifiques amateurs qui sont reçus « comme à la maison » lorsqu’ils passent au Muséum national d'Histoire naturelle pour travailler sur ces collections. Son expertise vis-à-vis du groupe polyphylétique (possédant plusieurs ancêtres possibles) des Buccinidae (bulots) et des Nassaridae « associés » l’a amené à visiter diverses institutions académiques ainsi que des collections privées dans le Monde entier. Il poursuit l’objectif de documenter et estimer la biodiversité au sein de ces groupes. Et grâce à l’équipe des biologistes moléculaires du Muséum national d'Histoire naturelle, plus aucune, ou vraiment très peu de questions resteront sans réponse.

Lors de chacune de ses visites, Koen Fraussen se prépare toujours à toutes les surprises possibles. Ses attentes se réaliseront-elles ? Est-ce qu’un agencement systématique cohérent sera trouvé ? La taxonomie au sein des Photinae sera t’elle conforme à ce que nous savons déjà à propos des Nassariidae ? Devrions-nous vraiment sous-estimer les caractéristiques de la coquille telles que la morphologie de la protoconche au profit de la proximité géographique ? Des noms (sous) génériques, tels que Strongylocera, subsisteront ils ou deviendront ils synonymes d’autres déjà connus ? Pouvons-nous interpréter correctement des différences entre faunes ou pouvons-nous utiliser ces données pour établir une systématique cohérente des Photinae ? Est-il possible de corréler correctement et facilement les caractéristiques de la coquille avec les données moléculaires ? Est-ce que la limite seuil restera une valeur numérique fixe ou trouverons-nous des informations suggérant qu’il existe une certaine plasticité ? Est-ce que certaines espèces n’en sont finalement qu’une seule et unique ou constituent-elles un groupe réunissant de multiples espèces ? Bien des questions restent encore sans réponse ! Les données sont toujours en phase d’analyses… Mais notre collègue belge sait déjà que la plupart de ces interrogations trouveront une réponse. De nouvelles connaissances sur la taxonomie des Photinae permettront d’établir une systématique cohérente de cette sous-famille d’une part. D’autre part, un certain nombre d’espèces sera identifié et décrit en tant que nouvelles espèces et les chercheurs parviendront à mettre en commun biologie moléculaire et morphologie classique. En plus d’accroître considérablement nos connaissances relatives aux mollusques et à la biodiversité marine, le projet de Koen Fraussen mettra en évidence qu’une approche interdisciplinaire est la plus encline à la réussite quand il s’agit de résoudre des enquêtes taxonomiques.