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Les isoètes : indicateurs précieux de l’état écologique des zones humides

Les isoètes ressemblent à des fougères… mais ils appartiennent aujourd’hui à un groupe différent. Angelo Troia, chercheur à l’Université de Palerme en Italie, les étudie et les utilise comme indicateurs des changements ayant lieu sur les zones humides temporaires1 pour des études à plus grande échelle. Dans le cadre du programme Synthesys, le chercheur italien est venu étudier les importantes collections d’isoètes du Muséum afin de compléter ses recherches.

Il est essentiel de bien connaître les caractéristiques de tout ce que l’on souhaite protéger ou conserver. En matière de préservation de la biodiversité et de la planète, il en va de même. Certaines recherches portent sur un aspect ou une caractéristique particulière d’une espèce ou d’un environnement. D’autres prennent en considération l’ensemble de ces informations. C’est le cas de l’étude menée par Angelo Troia sur les isoètes, ces plantes que l’on rencontre très souvent à proximité des zones humides.

Le genre actuel Isoetes comprend approximativement 250 espèces, vestiges des plantes vasculaires qui peuplaient jadis la planète. Anciennement considérées comme des fougères ou ptéridophytes, on s’accorde aujourd’hui largement à les réunir au sein d’un groupe différent et plus ancien de plantes, appelés lycophytes. Ces végétaux auraient évolué pour leur propre compte, à l’instar des fougères et les plantes à graines.

De par leur histoire, les isoètes présentent un grand intérêt du point de vue de la phylogénie et de l’évolution. Elles jouent également un rôle écologique considérable du fait de leur présence dans les zones aquatiques telles que les lacs, les rivières et les zones humides temporaires dont elles sont indicatrices de bonnes conditions environnementales. En matière de conservation, elles sont importantes car la majorité des espèces sont rares et menacées.

Le problème principal lorsque l’on étudie le genre Isoetes réside dans le fait que les espèces vivantes actuelles sont difficiles à distinguer en se fondant uniquement sur leur simple apparence. En s’appuyant sur son expérience, Angelo Troia reconnaît qu’il est risqué d’identifier une espèce en se fondant uniquement sur une spécificité particulière telle que l’ornementation des macrospores. Il est essentiel de prendre également en considération les caractéristiques plus générales de ces végétaux, leurs préférences écologiques, la morphologie des feuilles, le nombre d’écailles présentes sur les phyllopodes (expansions à la base des feuilles), la région de production des sporanges, ou encore les macro- et microspores.

Le projet d’Angelo Troia s’intéresse tout particulièrement à l’espèce Isoetes longissima en France et en Algérie. Cette espèce, synonyme de l’espèce I. velata, est l’une des plus larges et importantes du genre Isoetes du point de vue phylogénétique et écologique. À dire vrai, et comme l’a déclaré l’UICN, « c’est un groupe d’espèces dont la taxonomie est encore mal connue, et qui mérite des recherches plus approfondies ». Si l’on en croit de nombreux auteurs, les espèces d’Isoetes longissima constituent des indicateurs écologiques des écosystèmes saisonniers des zones humides de la région méditerranéenne. Ces marres de Méditerranée, classées « habitats prioritaires » par la Directive européenne « Habitats » . Elles présentent une importance majeure en matière de conservation malgré leur petite taille, étant donné qu’elles abritent de nombreuses espèces rares et menacées. Malheureusement, ces sites particuliers souffrent d’un taux alarmant de dégradation et de disparition. En outre, du fait de leur taille réduite et de leur structure relativement simple, ces marres temporaires affichent souvent les premiers signaux d’alerte des effets à long terme des modifications des systèmes aquatiques plus vastes. Ainsi, les espèces d’isoètes constituent un bon indicateur pour les habitats menacés, tout en étant elles-mêmes référencées parmi les espèces dont la conservation est préoccupante. L’isoète de Bory, ou Isoetes boryana, par exemple, figure sur la liste de l’annexe de la Directive européenne « Habitats ».

L’objectif du projet d’Angelo Troia est d’étudier ce groupe d’espèces, plus particulièrement celles décrites en France et en Algérie, et dont la taxonomie nécessite d’être révisée. Les taxons d’Espagne et d’Italie ont été décrits par plusieurs auteurs ces dernières années, mais elles méritent une certaine attention. En particulier, le statut taxonomique d’Isoetes boryana, espèce très préoccupante du point de vue de sa conservation, n’est pas clair : est-ce une « bonne » espèce, est-elle valide ou est-elle synonyme d’une autre ?

Le Muséum abrite d’importantes collections dont les spécimens-types2 d’au moins trois ou quatre espèces qu’Angelo Troia souhaite étudier (Isoetes boryana et I. tenuissima de France, I. adspersa et I. perralderiana d’Algérie). Il est convaincu que l’étude des spécimens-types apportera des résultats importants tels que la confirmation de quatre variétés locales appartenant à une seule espèce (comme plusieurs auteurs le suggèrent). Mais il se peut aussi que toutes ces variétés, ou au moins quelques-unes, appartiennent finalement à des espèces distinctes. Ceci peut avoir des conséquences importantes relatives aux problèmes de conservation, de phylogénie, d’écologie, et de biogéographie. Si les observations réalisées via ce projet ne menaient pas à des résultats concluants, ces dernières apporteront quoi qu’il en soit des données considérables et nécessaires en ce sens.

L’Herbier du Muséum est le seul (ou l’un des seuls) au Monde conservant l’équipement adapté (microscope électronique) et les collections nécessaires (types, matériel original, textes et documentations) pour mener ce projet à bien.

Il est tout d’abord nécessaire d’étudier la littérature relative à ces collections afin de collecter les informations précises des taxons tels que Isoetes boryana Durieu, I. tenuissima Boreau, I. adspersa A. Braun et I. perralderiana Durieu & Letourn. ex Milde. Parmi ces informations figurent les protologues ou descriptions originales des spécimens (y compris les loci classici indiquant les lieux de récoltes), l’existence éventuelle de spécimens-types et de matériel original, les caractéristiques morphologiques et écologiques, la taxonomie actuelle…

Pour toutes ces raisons, Angelo Troia étudiera dans un premier temps les collections documentaires patrimoniales de la Bibliothèque centrale du Muséum. Le but essentiel du projet d’Angelo Troia est d’étudier par observation par microscopie binoculaire traditionnelle, les spécimens conservés à l’Herbier du Muséum. Selon ses recherches bibliographiques préliminaires, les types de I. perralderiana entre autres, le matériel original (par exemple I. adspersa), ou d’autres associés à des loci classici, sont bien présents à Paris. Puis notre chercheur passera à la seconde partie de son projet afin de repérer les spécimens d’intérêt dans les collections et observer, par microscopie électronique, des structures morphologiques des mégaspores et microspores des spécimens qu’il aura sélectionnés. Ces caractéristiques anatomiques sont essentielles à l’analyse taxonomique du genre, en espérant identifier de nouveaux spécimens-types ou d’en confirmer d’autres.

Angelo Troia est chercheur au Département de Sciences et Technologies biologique, chimique et pharmaceutique, Section Botanique et Ecologie végétale, à l’Université de Palerme en Italie. Dans le cadre de son doctorat en Écologie et Biosystématique des plantes (Université de Bologne), Angelo Troia a étudié les effets de l’isolation géographique sur la structure génétique des Genêts à balai (Cytisus scoparius) sur l’archipel des Îles éoliennes (Sicile). Pendant plusieurs années, il a été Directeur de la Réserve naturelle des « marais salants de Trapani et Paceco » en Italie, qui abrite les derniers marais salants de Sicile, en plus de constituer un écosystème complexe et d’une grande richesse écologique. Ses recherches actuelles portent principalement sur la taxonomie et la systématique des plantes, et prennent en compte les enjeux écologiques, biogéographiques et de conservation des espèces. La taxonomie des ptéridophytes et les lycophytes (en particulier les isoètes) constitue son principal domaine de recherche, mais il n’en reste pas moins intéressé par les aspects biogéographiques et écologiques de l’ensemble des zones insulaires et des zones humides. 

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Holotype d'Isoetes perralderiana conservé à l'Herbier du Muséum national d'Histoire naturelle

© MNHN

Notes

1- Les zones humides temporaires, telles que les marres ou les flaques d’eau, jouent un rôle essentiel dans la compréhension de sites similaires plus grands, tels que les lacs.

2- Individu ou spécimen sur lequel est fondée la toute première description d’une espèce et auquel est associé le nom de cette espèce.

Mégaspores d'Isoetes longissima récoltés en Algérie, photographiées par microscopie électronique

© MNHN

Isoetes longissima photographiée sur dans son environnement naturel

© MNHN