Recherche scientifique

La collection de rongeurs africains du Muséum : une aide précieuse pour comprendre les modèles d’évolution du genre Grammomys des forêts tropicales et autres régions boisées

Josef Bryja, de l’Institut de Biologie des vertébrés de l’Académie tchèque des sciences à Brno en République tchèque, fonde ses travaux de recherche sur l’étude des rongeurs africains afin d’en apprendre plus sur l’évolution des forêts tropicales et autres régions boisées d’Afrique. Dans le cadre du programme scientifique européen Synthesys, Josef Bryja est venu étudier la collection de rongeurs africains du Muséum.

Les forêts tropicales en Afrique abritent une biodiversité extrêmement riche. Ainsi, la chaîne de montagnes de l’Est africain est recouverte par près de 3 300 Km2 de forêts au sein desquelles ont été identifiées presque 211 espèces endémiques de vertébrés. En comparaison, les montagnes du Rift albertin, plus à l’Ouest, accueillent la série de mammifères endémiques la plus riche du continent africain. La diversité biologique n’est pas également représentée dans toute la zone tropicale africaine, et les connaissances relatives à la distribution géographique de la biodiversité s’avère cruciale quand il s’agit de mettre des priorités sur certaines zones de conservation.

Une récente étude de la composition forestière en Afrique tropicale a identifié six groupes floristiques associés à des conditions environnementales particulières. Ce type de forêts est le résultat d’une histoire évolutive complexe. Au départ, il s’agissait d’une forêt équatoriale continue qui couvrait l’Afrique sub-saharienne pendant la période climatique humide du Miocène inférieur et moyen (- 23 à - 11 millions d’années). À partir du Miocène supérieur (- 11 à - 5 millions d’années), l’histoire des forêts s’est complexifiée et reste encore mal connue. Elle a été principalement affectée par le relèvement tectonique à l’origine de la Rift Valley et des périodes de fragmentations successives des forets causées par les fluctuations climatiques du Plio-Pléistocène (- 1 à - 3 millions d’années).

En se fondant sur le concept de conservation des niches phylogénétiques, Josef Bryja et ses collègues (dont Violaine Nicolas and Christiane Denys du Muséum) ont utilisé pour la première fois une approche phylogéographique sur un rat appartenant au genre Grammomys (mammifère inféodé au milieu forestier) afin d’enquêter sur l’histoire évolutive et les connections géologiques des forêts africaines. Bien que cette approche sur les vertébrés sub-sahariens ait fait l’objet d’un nombre croissant d’études, seules quelques-unes se sont focalisées sur des taxons1 vivant dans des forêts réparties dans toute l’Afrique sub-saharienne. Les rats du genre Grammomys sont partiellement arboricoles et leur taxonomie (classification) est encore mal comprise. Du fait que ces rats « grimpeurs » présentent une distribution géographique s’étendant des forêts aux zones boisées, la phylogénie (histoire évolutive) de ces animaux pourrait permettre de retracer les histoires évolutives des habitats forestiers dans lesquels ils vivent. En outre, le fait qu’ils appartiennent à un genre très ancien offre la possibilité d’étudier leur évolution depuis le Miocène supérieur : une période cruciale lorsqu’il s’agit du développement des forêts d’Afrique.

Durant ces dernières décennies, Josef Bryja et ses collègues de plusieurs institutions en Europe, aux USA et en Afrique, ont collecté énormément de matériel de recherche relatif au rat du genre Grammomys sur sa plus grande zone de répartition en Afrique sub-saharienne.

Les résultats d’analyses phylogénétiques très particulières ont suggéré que les divergences au sein du genre Grammomys sont parmi les plus anciennes au sein des Muridés (famille des souris, rats…) d’Afrique, soit environ 8 millions d’années. La majorité des cinq groupes reconnus (ou clades2) présente des modes de distribution de type parapatrique3, ainsi que des temps de divergence au sein de ces groupes en accord avec les scénarios d’histoires évolutives des forêts africaines actuelles depuis le Miocène supérieur. Toutefois, la distribution des lignées génétiques n’est pas en adéquation du tout avec la taxonomie reconnue actuellement. Les résultats suggèrent qu’une révision de ce genre mènera à la découverte de nouvelles espèces. C’est pour ces raisons que Josef Bryja a récemment visité les collections considérables de rongeurs du Muséum national d’Histoire naturelle (qui comprend des spécimens types4) où il a pu analyser les caractères morphologiques des spécimens de Grammomys, et plus particulièrement ceux d’Afrique Centrale et de l’Ouest. Ces régions sont peu représentées dans d‘autres collections ou dans de récentes collectes réalisées par d’autres institutions.

Les données sont toujours en cours d’études, mais il est déjà possible d’affirmer que les analyses intégratives taxonomiques combinant plusieurs types de données (anatomie, génétique…) mèneront à des modifications significatives de la systématique (classification et évolution) de ce groupe intéressant de rongeurs, et une connaissance approfondie des mécanismes évolutifs qui ont affecté la biodiversité des vertébrés en zone tropicale. 

En savoir plus sur Synthesys

Points de repère (points rouges) et demi-points de repère (cercles rouges) d’un crâne de Grammomys utilisé pour une analyse morphologique par morphométrie géométrique

© O. Mikula - IVB Brno

Notes

1 - Taxon : groupe d’individus possédant des caractères en commun du fait de leur parenté.

2 - Clade : groupe d’individus possédant un ancêtre commun.

3- Spéciation parapatrique : Apparition d’une nouvelle espèce issue des individus en limite de leur aire de répartition, et qui vont soudainement rencontrer des conditions de vie totalement différentes. Les populations isolées peuvent aussi vouloir élargir leur territoire. Les individus se répartissent en sous-populations qui évoluent indépendamment les uns des autres, jusqu’à l’apparition d’une nouvelle espèce génétiquement différente de l’ensemble de départ.

4 - Spécimen-type : spécimen animal, végétal ou minéral portant le nom de l’espèce dont il a permis la toute première description. Les spécimens-types sont les spécimens les plus importants d’une collection d’histoire naturelle.

Spécimen de Grammomys du Mont Kilimandjaro, lignée génétiquement différente des autres

© The Field Museum - W. T. Stanley

Josef Bryja (en haut à gauche) et son équipe en train de collecter des échantillons en Tanzanie du Nord

© V. Mazoch - C. Budejovice