
Sciences
Une nouvelle espèce de tatou découverte en Guyane
On connait actuellement une vingtaine d'espèces de tatous, ces mammifères emblématiques de l’Amérique du Sud. La plus répandue aurait été le tatou à neuf bandes, qui s'est révélée être en réalité un groupe de quatre espèces distinctes, dont une, présente en Guyane, qui n’avait encore jamais été décrite. Retour sur une découverte permise à la fois par l'étude de l’ADN et de la morphologie de crânes.
Faisant partie du même groupe de mammifères que les paresseux et les fourmiliers, les tatous ont une apparence caractérisée par leur célèbre carapace. Jusqu’à présent, le tatou à neuf bandes (Dasypus novemcinctus) était reconnu comme l’espèce de tatou la plus largement répandue, occupant une zone allant du nord de l’Argentine au sud-est des États-Unis.
Une espèce invasive ?
Dans le sud des États-Unis, le tatou à 9 bandes est considéré comme une espèce invasive depuis son arrivée dans les années 1850, après avoir franchi le Rio Grande depuis le Mexique.
Une espèce guyanaise distincte
Aux origines de la découverte
Dans les années 1995, des opérations de sauvegarde de la faune sauvage ont eu lieu à la suite de la mise en eau du barrage hydroélectrique de Petit Saut sur le fleuve Sinnamary. Lors de celles-ci, l’étude de premiers échantillons d’ADN de tatou avaient suggéré l’existence d’une potentielle espèce distincte de l’espèce à neuf bandes dans la région.
Près de trente ans plus tard, un échantillonnage plus représentatif de l’aire de répartition a été formé. Celui-ci a été constitué de spécimens de musées et de tissus biologiques accumulés au fil du temps. Un séquençage du génome a été fait sur ces spécimens et les analyses faites dans une étude menée par Mathilde Barthe et Frédéric Delsuc (Univ. Montpellier) ont prouvé que le groupe des tatous à neuf bandes était en fait constitué de 4 espèces différentes. Afin de renforcer ces résultats, cette étude s’est aussi appuyée sur l’analyse menée par Guillaume Billet du Muséum national d’Histoire naturelle (Centre de Recherche en Paléontologie) et Lionel Hautier (Univ. Montpellier) autour de la morphologie du crâne.
Cette analyse est venue confirmer les résultats passés et démontrer la distinction de ces 4 espèces sur un plan morphologique, en mettant à jour des différences anatomiques auparavant passées inaperçues. L’analyse s’est appuyée sur l’anatomie interne du crâne (sinus frontaux) et sur sa forme externe pour plusieurs dizaines de spécimens. Le spécimen type de la nouvelle espèce de tatou guyanais, conservé dans les collections du Muséum, a par ailleurs été scanné et reconstitué virtuellement, ce qui permet l’étude et le libre partage de modèles 3D de son anatomie squelettique.

Distribution des quatre espèces de tatous à long museau telles que délimitées par la génétique et la morphologie du crâne, notamment des sinus frontaux
© Barthe et al. 2024Une espèce locale
Le tatou à long museau guyanais (Dasypus guianensis) est bien une espèce locale de tatou et non un tatou à neuf bandes comme on avait pu le penser. On trouve cette espèce récemment découverte en Guyane, au Suriname, au Guyana, à l’ouest du Venezuela et au nord du Brésil (soit une aire correspondant au plateau des Guyanes). Parmi les autres espèces anciennement reconnues comme tatou à neuf bandes, on retrouve le tatou à long museau mexicain (Dasypus mexicanus) aux États-Unis et au Mexique, le tatou à long museau (Dasypus fenestratus) de l’ouest des Andes jusqu’en Amérique Centrale et le tatou à neuf bandes (Dasypus novemcinctus) en Amérique du Sud à l’est des Andes et au sud du plateau des Guyanes.
Le tatou à long museau guyanais est un peu plus grand que ces trois autres espèces de tatous. À la différence de celles-ci, et bien qu’il leur ressemble beaucoup, il possède un crâne plus bombé sur le dessus ainsi que des sinus frontaux hypertrophiés. Le spécimen type de cette espèce a été scanné au Muséum national d'Histoire naturelle (plateforme AST-RX).
Une méconnaissance de la région
Ce que cette découverte souligne bien, c’est qu’il existe encore de larges lacunes dans la connaissance de la biodiversité tropicale des Amériques. Il existe aujourd’hui un fort besoin de réévaluer le statut de conservation des espèces récemment reconnues dans ce groupe pour protéger la biodiversité unique du plateau des Guyanes. Cette zone pourrait bien abriter d’autres espèces encore non reconnues.
Relecture et contribution

Guillaume Billet
Maître de conférences et chargé de collection au Muséum national d'Histoire naturelle (Centre de recherche en paléontologie - UMR 7207)
Remerciements
Quentin Martinez, photographe
Référence scientifique
Barthe, M., Rancilhac, L., Arteaga, M.C., Feijó, A., Tilak, M.-K., Justy, F., Loughry, W.J., McDonough, C.M., de Thoisy, B., Catzeflis, F., Billet, G., Hautier, L., Nabholz, B. & Delsuc, F. (2025). Exon capture museomics deciphers the nine-banded armadillo species complex and identifies a new species endemic to the Guiana Shield. Systematic Biology publié en mars 2025.
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