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Une météorite martienne lève le voile sur la formation des continents terrestres

Une étude récente de la météorite martienne surnommée "Black Beauty" révèle la présence de roches granitiques à la surface de la planète rouge. Les analyses effectuées par une équipe internationale conduite par des chercheurs de l’IMPMC, un laboratoire du Muséum, suggèrent que Mars a formé en présence d’eau les embryons d’une croûte différenciée, similaire à celle de la Terre primitive. Cette étude publiée dans Nature Geoscience offre un aperçu précieux de l'histoire géologique de Mars, impliquant certains processus très probablement similaires à ceux qui ont façonné la Terre.

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    milliards d’années : âge du granite martien dans Black beauty
    + 400 kg
    masse de roches martiennes arrivées sur Terre sous forme de météorites

Quelle est la composition de cette météorite, et en quoi cela bouleverse-t-il ce que nous pensions concernant la formation de Mars ?

La météorite NWA7533 et toutes les météorites provenant de la même chute, plus connues sous le nom générique de "Black Beauty", diffèrent de toutes les autres roches d’origine martienne à notre disposition. Il s’agit d’une "brèche d’impact" : une roche consolidée à la suite d’un ou plusieurs impacts à la surface de Mars et formée de l’agglomération de fragments de roches préexistantes. Les fragments rocheux et les poussières interstitielles qui constituent cette roche peuvent avoir des origines très variées et apporter des informations sur les différents processus géologiques à l’œuvre.

Alors que toutes les autres météorites martiennes échantillonnent des terrains de nature basaltique (riches en fer et en magnésium, proches des laves constitutives de la croûte océanique terrestre), certains des fragments rocheux constitutifs de Black Beauty ont des compositions chimiques plus riches en silice. Ces compositions chimiques les rapprochent de celle des continents terrestres, ceux-ci étant constitués de roches moins denses que les basaltes et qui, "insubmersibles", "flottent" sur la croûte océanique.

On a longtemps cru que la surface de Mars était essentiellement basaltique et peu renouvelée puisque, en raison de sa petite taille, la planète n'a pas développé de tectonique des plaques. L’idée d’une surface uniformément basaltique de Mars avait cependant été remise en cause au cours de la dernière décennie par les découvertes de roches martiennes plus riches en silice que des basaltes, à la fois dans la météorite Black Beauty et in situ dans le cratère Gale par le rover Curiosity. Par ailleurs, une étude récente a montré, sur la base d’arguments géomorphologiques, qu’il existe dans l’hémisphère sud de Mars une zone plus épaisse qui pourrait correspondre à un continent caché1.

Notre étude permet de franchir une nouvelle étape décisive : parmi les fragments rocheux de Black Beauty, nous avons découvert une population de fragments contenant un minéral composé de silice pure : le quartz, minéral qui est caractéristique des granites qui forment les continents terrestres. Ainsi, des granites analogues à ceux qui constituent les continents terrestres sont présents à la surface de Mars !

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    Dans une étude antérieure, des membres de notre équipe ont contribué à identifier le cratère d’impact qui a éjecté Black Beauty dans l’espace. Ce cratère se trouve précisément en bordure du continent caché mis en évidence dans l’hémisphère sud de Mars.

Vue au microscope électronique à balayage en électrons rétrodiffusés de la préparation de la météorite Black Beauty dans laquelle ont été trouvés les fragments de granite

Vue au microscope électronique à balayage en électrons rétrodiffusés de la préparation de la météorite Black Beauty dans laquelle ont été trouvés les fragments de granite, localisés sur la partie de droite de cette image. Sur ce type d’image, les minéraux apparaissent d’autant plus clairs qu’ils sont composés d’atomes plus lourds (ici, le fer par rapport au silicium). Riches en silice, les fragments granitiques apparaissent plus foncés. On distingue en bas à droite un fragment dont la forme rappelle un peu celle d’un cœur. Taille de la zone imagée : 1,5 x 3 mm

© IMPMC - Malarewicz et al.

En quoi la découverte de granites martiens peut-elle donner un aperçu de la Terre à ses origines et de son évolution géologique ?

L’âge des fragments rocheux contenus dans Black Beauty a pu être mesuré grâce aux méthodes de la radiochronologie 2. Ces fragments rocheux ont cristallisé il y a environ 4,44 milliards d’années, à une époque où la construction de la Terre n’était peut-être même pas encore achevée 3. Nous ne disposons d'aucune roche terrestre aussi ancienne. La croûte océanique étant constamment renouvelée par le jeu de la tectonique des plaques, c’est dans les continents insubmersibles que l’on recherche les plus vieilles roches terrestres préservées. Les plus anciennes roches terrestres connues à l’heure actuelle sont des gneiss (roches issues de la transformation d’un granite) trouvés au cœur du bouclier continental canadien : les gneiss d’Acasta vieux de 4,02 milliards d’années. Nous savons cependant que des proto-continents se formaient déjà bien avant, puisque nous retrouvons des grains de zircon isolés, vieux de 4,3 milliards d’années, qui sont tout ce qui reste des roches continentales les plus anciennes détruites par les processus d’altération - processus auxquels ce minéral est plus résistant que les autres.

L’étude de ces zircons et la détermination des conditions dans lesquelles ils ont cristallisé est l’une de nos sources d’information sur les premiers continents terrestres. Une nouvelle source d’information s’ouvre à nous avec la découverte de fragments de granites martiens datant de la même époque et même plus anciens. En effet, les modèles physiques indiquent que Mars et la Terre présentaient vraisemblablement des conditions climatiques très proches et que les processus géologiques qui s’y déroulaient étaient similaires. Il est donc permis de penser que les processus à l’origine des premiers continents terrestres sont similaires à ceux qui ont formé les premiers granites martiens, ce que confirme certaines parentés de composition isotopique entre les zircons terrestres reliques et les grains de quartz que l’on trouve dans Black Beauty.

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    Une méthode de datation absolue qui se fonde sur la quantité d'un radioisotope dans un corps précis.

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    On considère que la formation des planètes débute en même temps que celle des premiers objets solides du Système solaire (les inclusions réfractaires) il y a 4,57 milliards d’années et que la construction de la Terre s’achève avec le dernier impact majeur : celui qui engendre la Lune un événement plus tardif de quelques dizaines millions d’années et jusqu’à deux centaines selon les estimations les plus récentes.

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© T. Legault, F. Colas et J.-L. Dauvergne - S2P, LTE, OMP

Comment savoir si de l’eau a pu être présente sur Mars ?

L’existence de roches de nature granitique plus riches en silice que des basaltes est en soi une forte indication de la présence d’eau à la surface de Mars. La fusion partielle des roches composant les planètes produit un magma primaire dont la composition est globalement basaltique. Pour faire évoluer un magma vers une composition suffisamment riche en silice pour qu’un granite puisse cristalliser, il faut que de nombreux phénomènes se produisent, dont certains sont largement facilités par l’assimilation d’eau dans le magma.

Par ailleurs, la brèche d’impact Black Beauty contient beaucoup de magnétite, un oxyde de fer produit par l’altération des roches basaltiques – roches dont on peut penser qu’elles constituaient la toute première surface de Mars. Les magnétites sont susceptibles de résister à la fusion induite par les impacts et mobilisent le fer, enrichissant ainsi en silice (par effet de bilan) les magmas produits par la fusion de roches basaltiques altérées.

Nous pensons que les granites martiens sont donc le résultat de la cristallisation de magmas formés par la fusion induite par un impact majeur (ou par des impacts répétés) de basaltes préalablement altérés par des eaux présentes en surface de la planète. Il est probable que les embryons des continents terrestres se sont formés de la même manière, une hypothèse qui avait déjà envisagée pour la genèse des gneiss d’Acasta.

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Pourquoi les météorites sont-elles précieuses pour mieux comprendre l’histoire des planètes du Système solaire ?

Les météorites sont des fragments de corps planétaires du Système solaire arrachés à la suite d’impacts. Une petite fraction d’entre-elles sont issues de la planète Mars ou de la Lune. Mais, dans leur grande majorité, les météorites sont les fragments de plus petits corps : les astéroïdes. Nous savons aujourd’hui que des centaines de millions d’objets de dimensions variables orbitent autour du Soleil dans une zone que l’on appelle la ceinture principale des astéroïdes, et qui est située entre l’orbite de Mars et celle de Jupiter. Ces astéroïdes sont les reliquats des premiers instants de la formation des planètes il y a 4,57 milliards d’années par l’agrégation progressive des poussières présentes dans le disque protoplanétaire4.

Les astéroïdes formés très tôt ont emmagasiné les éléments les plus radioactifs présents dans le disque avant que ceux-ci n’aient eu le temps de se désintégrer. La désintégration survenant au cœur même de leur matière a libéré de la chaleur et induit leur fusion, engendrant des liquides immiscibles de densités différentes : schématiquement, un liquide métallique dense issu des grains de métal contenus dans les roches de départ et un liquide silicaté moins dense issu de la fusion des minéraux silicatés. Ces deux liquides immiscibles se sont alors séparés, le liquide métallique coulant vers le centre de l’astéroïde, tandis que le liquide silicaté migrait vers la surface – de la même manière qu’un mélange d’huile et de vinaigre se sépare. C’est ce qu’on appelle le phénomène de différenciation, un processus qui a également été à l’œuvre dans les planètes rocheuses et qui explique que la Terre ait un noyau métallique. Les météorites issues d’astéroïdes ayant connu une telle évolution et que l’on qualifie de "différenciées" peuvent provenir des différentes couches internes de ces astéroïdes, y compris de leur noyau métallique, lorsque ces astéroïdes ont été fracassés par un ou plusieurs impacts majeurs. C’est la raison pour laquelle on trouve des météorites entièrement métalliques. Les météorites différenciées sont une précieuse source d’information sur l’évolution interne des corps planétaires différenciés, en particulier de la Terre5.

À l’opposé les astéroïdes formés plus tardivement n’ont pu accumuler que les éléments radioactifs dont la désintégration est la plus lente et chaleur interne libérée n’a pas été suffisante pour induire leur fusion. Ces astéroïdes ont préservé des caractéristiques directement issues du disque protoplanétaire dans lequel ils se sont formés et les météorites qui en sont issues, les "chondrites" sont l’une de nos principales sources d’information sur la genèse du Soleil et des premiers corps planétaires. Certaines de ces chondrites ont préservé très précisément la composition chimique du disque protoplanétaire et c’est vers ce type d’objet que se sont dirigées les deux missions récentes de retour d’échantillons (la mission japonaise Hayabusa 2 et la mission américaine OSIRIS-REx). Certaines de ces chondrites préservent des grains formés au voisinage d’étoiles plus anciennes que le Soleil et piégés dans le disque protoplanétaire, et l’on y trouve aussi les tous premiers objets formés dans ce disque et dont l’étude nous a permis de dater sa formation et celle du Soleil à 4,57 milliards d’années.

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    Par l’agrégation des poussières présentes dans le disque protoplanétaire et ils ont très peu évolué depuis, leur petite taille faisant qu’ils se sont refroidis très vite contrairement à une planète comme la Terre qui a encore une géologie très active. Les astéroïdes se divisent schématiquement en deux grandes catégories : ceux dont l’agrégation a été très rapide (dans les régions plus internes du disque) et ceux dont l’agrégation a été plus tardive (à plus grande distance du Soleil.

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    "Rappelons que toutes les informations que nous pouvons avoir sur le noyau de notre planète sont nécessairement indirectes. Il est et nous restera toujours inaccessible – il faudra it être en mesure de creuser sur plusieurs milliers de kilomètres et les températures et pression qui y règnent sont incroyablement élevées. Nos princ ipales sources d’inform ation sur les grandes profondeurs de la Terre sont donc liées à l’étude des ondes sismiques, aux simulations expérimentales et aux comparaisons avec les météorites."

 préparation de Black Beauty contenant les fragments granitiques vue au microscope électronique à balayage

La préparation de Black Beauty contenant les fragments granitiques vue au microscope électronique à balayage. À gauche, en électrons rétrodiffusés. Les plus gros fragments rocheux de compositions variées qui s’y trouvent y sont mis en évidence : Mo : « Monzonite », No : « Norite ». Ces roches ont des compositions relativement riches en silice, intermédiaires entre celle d’un basalte et celle d’un granite. CLMR : « Clast Laden Impact Melt Rock » : Littéralement fragment rocheux fondu lors de l’impact et contenant des inclusions rocheuses non fondues. C’est un « CMLR » similaire mais de composition chimique globalement différente qui contient les fragments de granite et les grains de quartz isolés identifiés par notre équipe. À droite une image des rayons X émis sous le bombardement électronique, image qui permet d’identifier les éléments chimiques qui constituent la roche. On distingue les grains de quartz sous forme de petits points jaunes.

© IMPMC - Malarewicz et al.

Entretien avec

Brigitte Zanda

Brigitte Zanda

Astrophysicienne au Muséum national d’Histoire naturelle (Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie - UMR 7590)

Référence de l'étude

V. Malarewicz , O. Beyssac, B. Zanda, J. Marin-Carbonne, H. Leroux , D. Rubatto, A. S. Bouvier , D. Deldicque, S. Pont, S. Bernard, E. Bloch, S. Bouley, M. Humayun & R. H. Hewins, (2025) Evidence for pre-Noachian granitic rocks on Mars from quartz in meteorite NWA 7533, Nature Geoscience 

DOI : https://doi.org/10.1038/s41561-025-01653-z