
Sciences participatives
Une expérience collective autour du kéfir, ces grains mystérieux
Un programme de sciences participatives vient d’être lancé au Muséum : "Kéfir ensemble" vous propose de cultiver des grains chez vous et de tester cette boisson très à la mode. Mais qu’est-ce que le kéfir, et comment en faire ? Pourquoi fascine-t-il autant ? Rencontre avec Christophe Lavelle et Alexandra Joubert, scientifiques au Muséum national d’Histoire naturelle.

Grains de kéfir
© MNHNQu’est-ce que le kéfir ?
"Kéfir" est un terme utilisé pour désigner à la fois le grain permettant de fabriquer une boisson, ainsi que par extension la boisson elle-même.
Le kéfir est une boisson fermentée, pétillante, naturelle, non-alcoolisée. Elle peut s’acheter ou se faire à la maison. Elle est fabriquée grâce à une entité presque magique : un ferment sous forme de grains, que l’on étudie depuis quelques années. Cette boisson est très facile à faire car le processus ne prend que 2 jours. Elle est accessible à tous, mais nécessite en revanche obligatoirement de posséder le ferment de départ : les grains de kéfir. Contrairement au pain, où l’on peut faire son propre levain, pour faire une boisson de kéfir, il faut acheter ou se faire donner ces grains.
Ce qui est intéressant, c’est qu’on ne sait pas vraiment d’où vient le kéfir ! Comme tous les ferments, il n’est ni animal ni végétal, mais microbien, c’est-à-dire composé de levures et de bactéries.
On peut faire du kéfir de lait ou de fruit.
- Pour faire du kéfir de lait, on utilise des grains d’allure similaire, qui ne renferment cependant pas la même communauté microbienne. Ensuite, le lait se suffit à lui-même comme milieu de culture grâce aux nombreux nutriments (sucres, acides aminées, minéraux…) qu’il contient naturellement.
- Pour faire du kéfir de fruit, il faut créer un milieu de culture ad hoc, donc ajouter du sucre et des fruits (frais et/ou secs) à l’eau, afin que l’environnement soit suffisamment nutritif pour les grains de kéfir.
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Pourquoi un tel intérêt aujourd’hui pour le kéfir de fruit en particulier, et les boissons fermentées en général ?
Effectivement, le kéfir coche toutes les cases pour en faire une boisson à la mode :
- C’est une boisson faite à base de fruits, elle est donc végétale.
- Elle est faite maison. On a le contrôle, et on sait d’où ça vient.
- De plus, elle bénéficie de l’engouement autour des aliments fermentés. Dans l’esprit commun, manger fermenté permet de prendre soin de sa santé, de son microbiote.
Avec le kombucha1, il ne s’agit pas d'aliments nouveaux, mais d’une "redécouverte" et d’une popularisation de ces boissons. Cela va de pair avec la volonté de manger mieux, de s’occuper de son "2e cerveau", c’est-à-dire de son microbiote intestinal.
En fait, ces boissons existent depuis longtemps, c’est seulement que l’on n’en parlait moins avant. Les témoignages écrits les plus anciens que l’on ait trouvés remontent à plus d’un siècle : on trouve notamment un article scientifique sur le kéfir de fruit écrit en 1899 ! Il faut aussi considérer que de nombreuses pratiques sont passées sous les radars depuis, ce qui peut expliquer l’absence de connaissances autour du kéfir.
Aujourd’hui, les producteurs commencent à se multiplier : d’une unique référence il y a à peine 15 ans, on trouve aujourd’hui une bonne dizaine de marques dans les magasins bios, et même en grande surface !
- 1Une autre boisson fermentée reposant aussi sur l’utilisation d’une symbiose levure/bactérie pour sa fabrication.
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Quel est l’objectif du projet de sciences participatives "kéfir ensemble" ?
Il y a quelques années, nous avons commencé une "kéfirothèque" dans l’idée de collecter des souches de kéfir de fruit venant de tous les coins de la France (et au-delà) et d’évaluer leur diversité. Aujourd’hui, nous avons plus d’une centaine de souches. Le séquençage de l’ADN génomique de quelques-unes d’entre elles nous a permis de mettre en évidence une vraie biodiversité, avec bien sûr quelques espèces que l’on retrouve souvent d’une souche à l’autre, mais aussi beaucoup d’autres qui sont vraiment spécifiques à certaines souches.
Au laboratoire, on a ensuite "déconstruit" méthodiquement une de ces souches, dans l’idée de comprendre comment fonctionnent les synergies entre les différents microorganismes. Cela nous a permis de voir comment évoluait un grain de kéfir et son consortium microbien quand il changeait d’environnement, comme cela se produit lorsque qu’un grain est transmis à quelqu’un d’autre. Nous avons aussi pu observer que certains consommateurs de kéfir recommandent des souches spécifiques de grains plutôt que d’autres. Une question se pose alors : quelle est la spécificité et la stabilité de ces consortiums de microbes une fois manipulés et cultivés dans un autre environnement.
C’est donc vraiment ce que ce projet de sciences participatives permettra de savoir : est-ce-que les grains changent ou pas, est-ce-que les équilibres microbiens varient selon les pratiques de l’utilisateur ? En partant du même lot de grains, nous avons proposé à un millier de personnes de cultiver chez eux ces grains de kéfir pendant 1 an. Ensuite, nous récupèrerons les grains et analyserons leur ADN pour voir s’il y a eu une évolution.
Nous pourrons ainsi savoir si, avec la transmission du grain, on transmet une souche qui est vouée à changer et si oui, en combien de temps, et si cette biodiversité se crée sur quelques semaines ou sur quelques années.
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Kéfir de fruit
© M. Hydalsvik - stock.adobe.comEn quoi va consister ce projet pour les participants ?
Après une première phase d’inscription (qui est maintenant close), et après vérification que nous avons bien réuni un panel de participants assez large (en termes de régions, habitudes alimentaires, niveaux d’expertise sur le kéfir, etc.), nous enverrons à tous les participants un kit comprenant 40 grammes de grains de la même souche. Ensuite, les participants choisissent d’utiliser leur propre recette ou bien la recette que nous leur proposons dans le protocole expérimental.
À chaque fois que le participant fera un cycle de fermentation, il pourra renseigner sur une plateforme ses observations éventuelles, rendre compte du goût de sa boisson, prendre des photos de ses grains. Nous les accompagnerons tout le long du projet (avec un forum, des webinaires, etc.) car nous voulons vraiment que ce soit dynamique et qu’il y ait des échanges continus entre les participants ainsi qu’avec nous. Ce sera aussi l’occasion pour nous d’expliquer ce que nous faisons au laboratoire.
On note en tous cas déjà un véritable enthousiasme et une vraie curiosité de la part des inscrits, ce qui est plutôt encourageant pour la suite du projet !
Pour en savoir plus sur le projet
Visitez le site de "kéfir ensemble", le programme de sciences participatives autour des grains de kéfir.
Remerciements à Christophe Lavelle, chercheur au Muséum national d'Histoire naturelle (UMR 7196-U1154-Structure et Instabilité des Génomes), et Alexandra Joubert, ingénieure d'étude au Muséum national d'Histoire naturelle (UMR 7196-U1154-Structure et Instabilité des Génomes), pour leur relecture et leur contribution.
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