Sciences

Un cœlacanthe observé pour la première fois dans les Moluques, en Indonésie

Le Cœlacanthe indonésien (Latimeria menadoensis) est extrêmement rare. Si rare que cet animal marin, qui cumule les étrangetés anatomiques, n’a été découvert qu’en 1997. Un spécimen adulte a été filmé pour la première fois dans son environnement naturel en octobre 2024 par des plongeurs profonds, dans la Province Nord des Moluques, en Indonésie orientale.

Un matin d’octobre 2024, dans l’archipel des Moluques, en Indonésie, Alexis Chappuis et Julien Leblond ont fait une rencontre exceptionnelle à 145 m de profondeur : un Cœlacanthe indonésien (Latimeria menadoensis). Cet événement ne doit rien au hasard. Le site de plongée (gardé secret pour préserver la population) et sa profondeur (qui exige de respirer un mélange de gaz spécifique et de recycler l’air expiré pour prolonger le temps passé sous l’eau) avaient été soigneusement choisis. Et si le succès fut au rendez-vous, c’est grâce à une collaboration internationale*, impliquant une équipe du Muséum national d’Histoire naturelle, et aux données scientifiques rassemblées depuis plus de quarante ans sur l’environnement de vie de ces mystérieux animaux.

Sur 4 plongées sur le même site, les plongeurs ont côtoyé 2 fois le même cœlacanthe (Latimeria menadoensis), reconnaissable à la disposition unique de ses taches blanches sur le corps. Province Nord des Moluques, Indonésie orientale, 2024. © Alexis Chappuis

Sur 4 plongées sur le même site, les plongeurs ont côtoyé 2 fois le même cœlacanthe (Latimeria menadoensis), reconnaissable à la disposition unique de ses taches blanches sur le corps. Province Nord des Moluques, Indonésie orientale, 2024.

© Alexis Chappuis

Une lignée de 410 millions d’années

Des cœlacanthes peuplaient déjà les océans il y a 410 millions d’années. Pourtant, ce n’est qu’en 1938 qu’un spécimen a été capturé au large de l'Afrique du Sud. On connaît aujourd’hui 2 espèces, le Cœlacanthe africain (Latimeria chalumnae) et son cousin indonésien (Latimeria menadoensis), découvert en 1997. Ce dernier n’avait été observé dans son environnement naturel que depuis des sous-marins habités ou robotisés, et jamais dans les Moluques.

Contrairement au surnom dont on les affuble parfois, il ne s’agit pas de « fossiles vivants ». Les deux espèces actuelles ne sont évidemment pas celles qui vivaient au Dévonien ni au Crétacé. Elles apportent cependant des informations essentielles aux scientifiques sur les grandes étapes de l’histoire évolutive des cœlacanthes. Leur cavité abdominale renferme un vestige de poumon. À la base des nageoires paires, on trouve un os long, homologue de l’humérus et du fémur des pattes des vertébrés terrestres. Et leur crâne est divisé en deux parties articulées, caractéristique qui n’est retrouvée chez aucun autre vertébré.

Ces étrangetés anatomiques témoignent d’une période clé de l’évolution, quand des vertébrés ont acquis des caractéristiques (telles que des poumons et des nageoires charnues) parfaitement adaptées à leur environnement aquatique, et qui ont permis par la suite à certains d’entre eux de vivre sur la terre ferme.

Observation in situ du premier cœlacanthe de l’archipel des Moluques, en Indonésie, fin 2024. Les cœlacanthes peuvent atteindre 2 mètres de long et sont reconnaissables à leurs nageoires charnues et leur queue se terminant par 3 lobes.

© Alexis Chappuis

Symboles de la vulnérabilité de la biodiversité marine

L’analyse récente de spécimens conservés au Muséum a permis d’établir qu’ils vivent au moins jusqu’à 100 ans. Mais ils n’atteignent leur maturité sexuelle que vers 55 ans et affichent une période de gestation record : ils portent leurs petits pendant près de 5 ans ! Ces caractéristiques rendent le Cœlacanthe indonésien très sensible aux pressions humaines (captures, pollution de l’environnement, changement climatique…). Il est d’ailleurs inscrit comme "vulnérable" sur la liste rouge des espèces menacées de l’UICN.

La rencontre récente dans l’archipel des Moluques confirme heureusement que l’on connaît assez bien désormais les habitats naturels de cet animal. Ce sont donc eux qu’il faut cartographier pour répondre à des objectifs de protection à long terme de la biodiversité marine en danger, par exemple en définissant de nouvelles aires marines protégées.

Référence scientifique

Chappuis, A., Hendrawan, I.G., Achmad, M.J. et al. First record of a living coelacanth from North Maluku, Indonesia. Scientific Reports 15, 14074 (2025). https://doi.org/10.1038/s41598-025-90287-7

Relecture scientifique

Gaël Clément

Paléontologue, Professeur du Muséum national d’Histoire naturelle, Centre de recherche en paléontologie - Paris (UMR 7207)

Image décorative

Alexis Chappuis

Biologiste marin / Photographe, association française UNSEEN (Underwater Scientific Exploration for Education)