Remise de prix

Prix Nobel de médecine : Svante Pääbo a révolutionné notre vision de Néandertal

4 octobre 2022

Le paléogénéticien a reçu ce lundi 3 octobre le prix Nobel de médecine et de physiologie 2022. Évelyne Heyer, spécialiste en anthropologie génétique au Muséum national d'histoire naturelle, nous éclaire sur celui qui a rendu possible le séquençage complet du génome de Néandertal.

Svante Pääbo est le pionnier de la paléogénomique : quelle est cette discipline ?

Évelyne Heyer : La paléogénomique est l'étude de l'ADN dégradé extrait de restes fossiles. Svante Pääbo est le grand spécialiste de la paléogénomique humaine. Grâce à cette discipline, on a accès à l'ADN de populations et d'espèces maintenant disparues.

Quelle est donc cette découverte qui lui vaut le Nobel ? 

Évelyne Heyer : En 2010, son équipe a réussi à séquencer ("lire") une partie de l'ADN de Neandertal, notre cousin disparu il y a environ 30 à 40 000 ans. Puis, toujours en 2010, son équipe a lu une partie de l'ADN mitochondrial d'une espèce jusque là inconnue, Denisova, le cousin de Néandertal à l'est de l'Eurasie.

Ces bouts d'ADN anciens ont permis de démontrer qu'il y a eu des mélanges dans le passé entre notre espèce et ces espèces maintenant disparues.

À quoi correspond le séquençage complet du génome de l'homme de Néandertal ?

Évelyne Heyer : Séquencer le génome de Néandertal signifie extraire l'ADN de restes fossiles en évitant les contaminations par l'ADN moderne. Concrètement, il s'agit de lire la suite de lettres A-C-T-G (quatre types de bases nucléiques) qui constituent les fragments d'ADN que l'on a extraits, puis mettre bout à bout ces fragments pour reconstituer l'ensemble du génome de Néandertal

En quoi les travaux de Svante Pääbo éclairent-ils nos sociétés actuelles ? 

Évelyne Heyer
: Les travaux de son équipe ont servi à confirmer qu' il y a environ 70 000 ans, une migration a eu lieu hors du continent africain, dont notre espèce est issue, et qu'il y a alors eu mélange génétique avec Néandertal.

Ainsi, les humains actuels en dehors de l'Afrique ont reçu environ 2% de leur ADN de Néandertal. Plus à l'est, les populations d'Asie et d'Océanie ont aussi dans leur génome une part variable d'ADN qui vient de Denisova.. en bref, plein de mélanges !

La paléogénomique permet de comprendre les différences génétiques qui font de nous des sapiens plutôt que des néandertaliens en retraçant les adaptations passées. Il est passionnant de se rendre compte que nous sommes les descendants d'individus qui se sont adaptés dans le passé et qui, par chance, ont survécu.

Que reste-t-il à explorer grâce à la paléogénomique ?

Évelyne Heyer
: Il s'agit désormais d'améliorer la technique pour remonter plus loin dans le passé. Le prochain défi est d'analyser d'autres restes, notamment en Afrique, où du fait des conditions climatiques l'ADN se dégrade encore plus. Il nous reste encore beaucoup à apprendre de ce que ces 2% d'ADN reçus de Néandertal impliquent pour notre espèce. Par exemple, des études ont déjà montré l'existence de prédispositions génétiques à des formes graves de Covid-19 qui nous viennent de Néandertal, mais aussi des variants génétiques "protecteurs" venus de notre cousin disparu.

Au Musée de l'Homme, nous ne possédons hélas pas d'ADN de qualité dans nos restes paléolithiques. En revanche, grâce à notre laboratoire d'ADN ancien, nous travaillons sur des périodes plus récentes. Plusieurs gros projets sont en cours en lien avec la paléogénomique, je pense par exemple à Aline Thomas qui s'intéresse aux rapports de genre au Néolithique, ou encore à Céline Bon qui travaille sur l'évolution génétique des populations humaines du Bassin parisien entre le Néolithique ancien et le 17e siècle.

La vie secrète des gènes

Tapis dans le minuscule noyau de nos cellules, nos gènes disent en quoi nous sommes à la fois uniques et semblables. Ils nous connectent aussi à la vaste saga de notre espèce, héritière de millions d’années d’évolution biologique et culturelle. Quel est l’impact des gènes légués par Néandertal ? Pourquoi certains d’entre nous peuvent-ils boire du lait et d’autres non ? L’intelligence est-elle déterminée génétiquement ? La notion de race a-t-elle un quelconque sens ? Pourquoi avons-nous tous des ancêtres migrants ?

Evelyne Heyer lève un coin du voile et nous conte la vie secrète des gènes. Tout en exposant les dernières découvertes de la science, elle illustre à quel point notre patrimoine génétique est au fondement de notre humanité, tout en constituant une fascinante machine à remonter le temps…

  • Édition : Flammarion
  • Autrice : Évelyne Heyer
  • 18 €
  • 2022
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