Sciences

Juste cinq minutes par jour…

Observer, sentir, toucher, découvrir… Imaginer, rêver, partager… Prendre simplement cinq minutes pour observer la nature nous apprendrait beaucoup. Sur le vivant et sur nous-même. Par Anne-Caroline Prévot, directrice de recherches CNRS au Muséum.

L’an dernier, j’ai demandé à des étudiant·es de master de passer chaque jour cinq minutes à observer de la nature à Paris (plantes, animaux, tous les êtres vivants non humains qui nous entourent), et ce pendant les deux semaines d’un cours sur l’engagement. Cinq minutes, ce n’est pas beaucoup. Et pourtant, combien sommes-nous à ne pas nous autoriser ces cinq minutes, surtout pour quelque chose d’aussi « futile » que de ne « rien faire » dans la nature ? Se connecter aux vivants reste cantonné aux temps de loisirs, loin des activités importantes de nos vies trépidantes.

Et cette indifférence généralisée aux vivants non humains participe à la crise actuelle de la biodiversité.

Indifférence passive quand nous n’intégrons pas la nature dans nos intérêts mais la considérons comme un simple décor, un élément interchangeable de nos cadres de vie. Indifférence active quand nous la combattons et l’éliminons, parfois avec le seul argument que « nous avons toujours fait comme cela ». Indifférence encore plus problématique quand nous empêchons les autres de s’en rapprocher : les enfants par peur du sale, les femmes par insécurité ou autres raisons religieuses ou idéologiques, les minorités par manque d’une volonté politique d’intégration…

Un déclic

Pourtant, nous recevons de plus en plus de demandes pour nous engager sur des causes environnementales. Alors, à côté de ces injonctions normatives, ma proposition simple peut paraître futile, même si de nombreuses recherches suggèrent le contraire : prendre cinq minutes, tous les jours, pour nous mettre à hauteur de la biodiversité et entrer en expérience avec elle. Qui que nous soyons. Où que nous soyons.

Faisons-le pendant douze jours, nous y aurons passé une heure. Si cela ne change rien, ce sera juste une heure de « perdue » . Mais au contraire, ces cinq minutes par jour seront peut-être un déclic, le début de quelque chose de nouveau. Car nous aurons pu observer, sentir, écouter, toucher, découvrir ou percevoir… imaginer, rêver, nous souvenir ou partager… apprécier, laisser la place, être en colère, triste, avoir envie de nous battre…

Une envie d’en savoir plus ? Nous irons nous renseigner auprès de naturalistes ou de scientifiques qui enrichissent quotidiennement les connaissances à ce sujet. Une envie d’y passer plus de temps ? Nous réorganiserons nos priorités pour dégager ce temps. Une envie qu’il y en ait plus ? Nous nous engagerons socialement et politiquement pour cela. Une prise de conscience de notre place dans un monde plus vaste ? Nous repenserons nos choix de vie. Une envie de partager ? Nous irons en parler avec nos proches, nos voisins, puis vers des cercles de plus en plus larges.

Partageons, confrontons

Alors oui, ces cinq minutes ne seront plus futiles, mais le début de changements potentiellement transformateurs. Comme pour plusieurs des étudiant·es l’an dernier.

Pouvoir entrer en expérience de nature doit être un droit inconditionnel pour toutes et tous, et il est de la responsabilité des pouvoirs publics de tout mettre en œuvre pour rendre cela possible, physiquement, socialement et moralement. Mais nous, cherchons activement ces expériences de nature, partageons-les, confrontons-les avec d’autres. Car c’est ensemble que nous inventerons des futurs soutenables, en nous enrichissant de nos différences.

Cinq minutes par jour, voilà le défi que je lance, forte de mes recherches en écologie et psychologie de la conservation.

Anne-Caroline Prévot, directrice de recherches CNRS au Muséum national d'Histoire naturelle. Initialement publié par Libération.fr le 6 août 2023