Mésosaures : ces très anciens amniotes pouvaient atteindre 1,70 mètre de long
Des gisements uruguayens ont permis de mettre au jour des fossiles de mésosaures présentant des dimensions inédites. Entretien avec Michel Laurin, coauteur de l’étude, sur les implications de ces découvertes.
Qu'est-ce qu'un mésosaure ?
Avant les mésosaures, les premiers amniotes
Il y a plus de 300 millions d’années, au Carbonifère, les environnements humides où s’épanouissait la vie terrestre étaient notamment peuplés de vertébrés semi-aquatiques.
Parmi ces animaux, un groupe s’affranchit de la vie marine, notamment via une innovation lui permettant de pondre hors de l’eau : l’œuf amniotique, dont l’amnios isole l’embryon du milieu extérieur. Il s’agit des premiers amniotes, ancêtres de tous les mammifères et reptiles (oiseaux inclus).

Les mésosaures se nourrissaient majoritairement dans l’eau, mais pouvaient également se déplacer sur la terre ferme.
© R. Yevseyev, P. N. Demarco, and G. PiñeiroLes premiers amniotes se diversifient fortement sur le supercontinent Pangée dès le Permien (voir frise en fin de page), parmi eux se trouvent les ancêtres de tous les vertébrés terrestres (humains inclus) actuels ou disparus. Leur étude enrichit donc les connaissances sur notre histoire évolutive, ainsi que sur celle de nombreux animaux qui nous entourent.
Le retour à un mode de vie aquatique chez les mésosaures
Mesosaurus tenuidens est le plus ancien amniote connu à être retourné à une vie principalement aquatique, il y a environ 290 millions d’années, alors que ses ancêtres avaient adopté un mode de vie exclusivement terrestre, près de 40 millions d’années auparavant.
Les mésosaures vivaient au Permien, dans une grande mer peu profonde et plus salée que l’océan, enclavée dans la partie sud de la Pangée.

Fossile de mésosaure exposé dans la Galerie de Paléontologie du Muséum national d'Histoire naturelle.
© MNHN - L. CazesLes restes fossiles de mésosaures se retrouvent aujourd’hui à la fois en Amérique du Sud (Brésil, Uruguay et Paraguay) et en Afrique (Namibie et Afrique du Sud), car l’ouverture de l’océan Atlantique a séparé en deux le milieu où ils vivaient. Cette séparation s’est produite plus de 100 millions d’années après leur disparition.
Ces fossiles, identiques mais séparés par 5 000 kilomètres d’océan, font partie des indices qui ont permis à Alfred Wegener de théoriser la dérive des continents, au début du XXe siècle.
La grande majorité des fossiles adultes mesurent entre 70 et 90 centimètres (queue comprise). Les mésosaures sont connus par plus d'une centaine de spécimens, allant des adultes aux juvéniles, et comprenant même des fœtus encore dans leurs œufs. Mais une étude récente montre l’existence d’individus bien plus grands que ceux précédemment étudiés.
Les vertébrés amphibies et terrestres au Carbonifère
L’étude de spécimens de mésosaures géants
Des gisements à conservation exceptionnel, en Uruguay, ont permis de découvrir ces dernières années de nombreux fossiles de mésosaures, incluant des os bien plus grands que ceux connus jusque-là.
S’il est complexe d’estimer la taille d’un individu à partir d’un seul os, des paléontologues de l’université de Montevideo (Uruguay) et du Muséum national d’Histoire naturelle ont pu étudier de nombreux spécimens afin d’évaluer la relation entre la taille de certains os et la taille totale de l’individu. Cela est rendu possible par la quantité et la qualité des fossiles de mésosaures connus.

Présentation de la différence de taille entre un mésosaure de 90 centimètres de long et un mésosaure qui mesurerait 1,7 mètre de long.
© N. Tamura ; vectorisé par A. Verrière ; modifié par MNHN - N. CellierCes chercheurs ont pu estimer que plusieurs fossiles correspondaient à des individus dépassant 1 mètre de longueur, certains pouvant atteindre, voire dépasser, 1,7 mètre du museau jusqu’au bout de la queue. Bien plus que les 70 à 90 centimètres précédemment admis !
Les plus grands spécimens connus jusque maintenant étaient pourtant bien des adultes, qui vivaient encore principalement près des côtes, milieu bien plus propice à la conservation des corps et à leur fossilisation.
Mais, comme les alligators ou les tortues actuelles, les mésosaures continuaient de grandir pendant toute leur vie, même à un rythme réduit. Les spécimens analysés dans cette étude feraient donc partie des rares individus ayant atteint un âge bien supérieur à la longévité moyenne de l’espèce.
Entretien avec Michel Laurin, coauteur de l’étude
Les tout premiers amniotes, qui ont précédé les mésosaures et tous les vertébrés terrestres, sont apparus il y a plus de 330 millions d’années. Ils ne sont pas connus dans les gisements fossiles. Leurs caractéristiques sont déduites à partir des connaissances sur leurs proches parents connus.
La réévaluation des connaissances sur des animaux tels que les mésosaures, proches des premiers amniotes, permet d’améliorer le portrait-robot que dressent les paléontologues pour étudier nos lointains ancêtres.
Tentons d’y voir plus clair avec le paléontologue Michel Laurin, coauteur de l’étude et spécialiste des mésosaures et des premiers amniotes.
Michel Laurin, vous avez étudié ces nouveaux fossiles exceptionnels des gisements uruguayens, en quoi cette étude change notre vision des mésosaures ? D’autres études vont-elles dans ce sens ?
Michel Laurin : Le sujet-clé de l’étude, c’est de comprendre que les mésosaures pouvaient atteindre 1 m 70, et ne mouraient pas tous en ayant atteint un maximum de 90 centimètres de long. Mais cela modifie aussi l’idée qu’on se fait des autres premiers amniotes, car les mésosaures sont connus par plus d’une centaine de spécimens répartis dans plusieurs pays. Ce sont parmi les amniotes les mieux connus. Certains autres amniotes ne sont connus que par 1, 2, voire 3 spécimens.
Il est possible d’imaginer que parmi ces espèces aussi, certains pouvaient atteindre des tailles bien supérieures à celles des quelques spécimens préservés et étudiés. Il faudra donc être encore plus prudent que ce qu’on l’était par le passé, sur les idées qu’on se fait de ce caractères : la taille de ces espèces était plus variable que ce qu’on croyait.
La taille des premiers amniotes, nos premiers ancêtres terrestres, est supposée être conditionnée par la taille des œufs et par l’absence de stade larvaire dans leur développement. Elle était estimée inférieure à 10 centimètres de long. Que disent les études récentes de cette estimation ?
M. L. : L’article discute modérément de la taille des premiers amniotes, mais d’autres études sur le sujet existent. Cette hypothèse des premiers amniotes qui mesureraient moins de 10 centimètres de long (sans compter la queue), remonte à une étude de Robert Caroll, de l'université McGill au Canada, dans les années 1970.
Mais plusieurs études récentes se sont penchées sur le sujet, et n’ont pas pu confirmer l’hypothèse de Caroll. Les fossiles connus, et les arbres évolutifs reconstitués, semblent plutôt indiquer que nos ancêtres auraient été plus grands lorsque l’œuf amniotique est apparu.
La ré-estimation de la taille des mésosaures renforce cette idée, puisque même des amniotes que l'on pensait très bien connaître étaient finalement plus grands que ce qu’on croyait. Il faudra peut-être revoir nos idées sur l’évolution de la taille corporelle chez les premiers amniotes, mais pour cela il faudra trouver beaucoup de fossiles supplémentaires, et nous aurons peut-être des surprises.
Quelles autres études pourraient être menées pour affiner nos connaissances sur les premiers amniotes, et les sorties de l’eau des premiers tétrapodes ?
M. L. : La micro-anatomie osseuse (la structure de l’os et la quantité de tissu osseux) a beaucoup été étudiée pour comparer la structure des os des amniotes actuels terrestres, amphibies et aquatiques. Cela permet par exemple de voir que cette structure varie selon le milieu de vie. On peut déduire plusieurs aspects du mode de vie d’un animal disparu à partir de ces données, notamment s'il était plutôt terrestre ou aquatique.
Aujourd’hui, la microtomographie à rayon X, dont le Muséum national d’Histoire naturelle est équipé, permet de faire ce genre d’étude sans endommager les os. Il faut savoir qu’auparavant, il était nécessaire de découper un os (fossile ou actuel) en lames minces pour pouvoir analyser sa structure. Aujourd’hui, on n’abîme plus les spécimens pour cela.
Les bases de données que nous avons déjà constituées, qui comportent plusieurs centaines de spécimens, peuvent donc être grandement enrichies. Cela permettrait d’obtenir encore plus d’informations sur nos lointains ancêtres, en les comparant aux nombreuses espèces actuelles.
Mais pour cela, il faut aussi davantage de temps, sans parler de la recherche de fossiles issus des bonnes périodes et des bons groupes d’espèces : des carrières entières peuvent se construire autour de ces thématiques !
Relecture scientifique

Michel Laurin
Directeur de recherche en paléontologie au Muséum national d'Histoire naturelle (Centre de Recherche en Paléontologie - UMR 7207), président de la Société Internationale de Nomenclature phylogénétique.
Publication scientifique
Piñeiro, Graciela, Pablo Núñez Demarco, and Michel Laurin. 2025. "The Largest Mesosaurs Ever Known: Evidence from Scanty Records" Fossil Studies 3, no. 1: 1. https://doi.org/10.3390/fossils3010001