Les collections de cœlacanthes du Muséum ouvrent la voie à de nouvelles études sur ces énigmatiques animaux
Dans le cadre d’une thèse soutenue récemment, les cœlacanthes conservés dans le formol depuis 50 ans dans les collections du Muséum national d’Histoire naturelle ont permis de formuler de nouvelles hypothèses sur la biologie et l’évolution de ces animaux.
Décrits seulement à partir de fossiles depuis le XIXe siècle, les cœlacanthes furent longtemps considérés comme éteints depuis la fin du Crétacé (environ 75 millions d’années). Ce n’est qu’en 1938 que le premier spécimen vivant a été identifié en Afrique du Sud. Très rares dans la nature actuelle, ils étaient par le passé très abondants, diversifiés, et morphologiquement différents les uns des autres. Dans la nature actuelle, les cœlacanthes sont représentés par un seul genre, Latimeria, et deux espèces, Latimeria chalumnae et Latimeria menadoensis. D'une taille moyenne de 1,50 m, ces animaux vivent dans les eaux profondes de l’Océan Indien (Canal du Mozambique et Asie du Sud-Est), et sont considérés en très grand danger d’extinction.
Entre 2010 et 2013, Hugo Dutel a réalisé son doctorat dans deux unités mixtes de recherche du Muséum, l'une spécialisée en paléontologie (UMR CNRS-MNHN-UPMC 7207) et l'autre en anatomie fonctionnelle (UMR CNRS-MNHN 7179). Outre l’étude de fossiles de cœlacanthes "géants" du Mésozoïque, son travail avait notamment pour but de mieux comprendre le fonctionnement du crâne de Latimeria durant la prise alimentaire.
Le cœlacanthe Latimeria est l’unique vertébré actuel possédant un crâne divisé en deux portions articulées par une articulation intracrânienne. Cette articulation est associée à un muscle pair, le muscle basicrânien, qui s’étire sous le crâne. Les anciennes hypothèses émises sur sa fonction suggéraient une élévation de la partie antérieure du crâne lors de l’ouverture de la gueule, contribuant ainsi à augmenter le volume buccal pour réaliser une puissante succion des proies.
Les collections du Muséum, qui possède la plus grande collection de cœlacanthes actuels au monde, ont été un précieux atout pour réaliser ce travail. La présence de plusieurs spécimens adultes a autorisé la dissection de l’un d’entre eux, chose unique du fait de la rareté des spécimens habituellement disponibles dans les muséums. Complétée par des acquisitions CT-scan (réalisées à la plateforme AST-RX du Muséum), ces données ont permis la redescription de l’anatomie musculo-squelettique du crâne de Latimeria. Ces nouvelles observations suggèrent que l’articulation intracrânienne est beaucoup moins mobile que ce qui était précédemment supposé.
Les données acquises lors de la dissection (tailles des muscles, etc.) et des acquisitions CT-scan ont été ensuite combinées pour étudier le fonctionnement du crâne en 3D. L’articulation intracrânienne et le muscle basicrânien semblent ainsi participer à l’augmentation de la force de morsure, et non à l'augmentation du volume buccal. Enfin, l’utilisation d’analyses par éléments finis (FEA)*, réalisées en collaboration avec l’Université du Massachusetts à Amherst (États-Unis) et l’Université de Hull (Royaume-Uni), a permis de caractériser le comportement mécanique du crâne de Latimeria lors de la morsure. La compréhension du fonctionnement du crâne chez Latimeria permettra dans de futurs travaux d’étudier les implications sur la prise alimentaire des différentes morphologies crâniennes observées dans le registre fossile des cœlacanthes, et ainsi formuler des inférences sur le mode de prise alimentaire et l’écologie des cœlacanthes fossiles.
* L'analyse en éléments finis est une méthode, issue de l'ingénierie, permettant de simuler informatiquement le comportement mécanique d'un objet. L'objectif est alors de mettre en évidence la réaction de cet objet aux forces qui s'appliquent à lui dans le monde réel, comme une voiture lors d'un crash-test ou le crâne d'un prédateur enserrant sa proie dans sa mâchoire.