Images de science : Quelle est la forme de nos chromosomes ?

La forme prise par les chromosomes peuvent donner des informations sur leur fonctionnement. Ici, une méthode de reconstruction éclaire la séparation spatiale entre gènes actifs et inactifs.

La forme d’un objet nous en dit beaucoup sur sa nature. Elle reflète par exemple les mécanismes de sa formation : la lune dans le ciel forme un cercle qui découle des propriétés de symétrie de la force de gravitation. La forme d’un objet physique nous renseigne aussi sur son histoire : nous savons qu’il y a eu de l’eau sur Mars en observant le lit sinueux de rivières maintenant asséchées. La forme d’un organisme vivant ou d’une de ses parties nous renseigne enfin sur sa fonction : la forme du bec des oiseaux nous indique ainsi leur régime alimentaire.

La forme présentée ici brouille les pistes. Est-elle naturelle ou artificielle ? Est-ce un objet physique ou biologique ? Est-ce une forme abstraite ou un artefact créé par l’homme ? Levons tout de suite le mystère : il s’agit en fait d’une représentation de la structure physique d’un de nos chromosomes, obtenue grâce aux mathématiques et à l’informatique à partir de mesures réalisées sur des chromosomes réels.

Chacun de nos chromosomes est formé d’une molécule d’ADN repliée sur elle-même, comme une pelote de fil irrégulière. Impossible d’observer cette pelote au microscope dans une cellule vivante : les techniques de visualisation disponibles à cette échelle (très inférieure au micron, le millionième de mètre) exigent une préparation qui abîmerait la cellule et modifierait la forme du chromosome.

On dispose cependant d’une méthode indirecte, permettant d’identifier quelles régions du fil sont en contact les unes avec les autres dans la pelote. L’expérience consiste à figer les chromosomes avec un produit chimique qui soude les régions en contact. On découpe ensuite le chromosome pour isoler ces régions. Enfin, le séquençage de milliards de ces régions permet de retrouver la position des contacts le long de la molécule d’ADN. On obtient à la fin un tableau de nombres décrivant la fréquence de contact entre les différentes régions du chromosome, prises deux à deux.

À partir de ce tableau — en termes techniques, une matrice à deux dimensions — il faut ensuite utiliser une combinaison de théorie des réseaux, de géométrie et d’algèbre pour révéler la structure tridimensionnelle moyenne du chromosome grâce à un calculateur. L’image n’est donc pas une photographie du chromosome, mais une reconstruction numérique à partir de données réelles issues de cellules vivantes. Les couleurs, artificielles, ajoutent une information : en rouge les régions de la molécule d’ADN contenant des gènes actifs qui sont utilisés pour fabriquer les protéines qu’ils encodent, en vert et en bleu les régions contenant les gènes inactifs dont l’information n’est pas exploitée par les cellules étudiées ici.

Le résultat, surprenant, a révélé la séparation spatiale à l’intérieur de la cellule, entre les gènes qui sont actifs (au centre) et ceux qui ne le sont pas (à la périphérie du chromosome). Une séparation qui a depuis été confirmée par des expériences directes. Au-delà de son intérêt scientifique, cette image nous renvoie un reflet de nous-mêmes et nous interroge sur ce qui constitue notre individualité : nos chromosomes.

Julien Mozziconacci, Professeur en biologie computationelle, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et Annick Lesne, Chercheuse en physique théorique des systèmes vivants, Sorbonne Université. Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. Article publié le 1 er mars 2022

 

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