Forêts Miyawaki : comment bien adapter la méthode japonaise au contexte français ?
En plein développement, ces forêts urbaines rencontrent certaines critiques et questionnements concernant leur mise en œuvre en France et les bénéfices écosystémiques qu’elles promettent de générer.
Encore confidentielles il y a quelques années, les « forêts Miyawaki » ont incontestablement gagné en popularité, à l’heure où 80 % des Français vivent en contexte urbain et que 90 % d’entre eux expriment un besoin de contact végétal au quotidien.
Loin d’être une tendance passagère, les « forêts Miyawaki » – suivant la méthode mise au point par le botaniste japonais du même nom – s’imposent progressivement comme un outil de politique publique, faisant partie intégrante de la ville durable du XXIᵉ siècle.
Au vu de l’engouement médiatique qu’elles génèrent, ces forêts tendent à représenter dans l’inconscient collectif la forme nouvelle des forêts urbaines. Or celles-ci recouvrent des réalités plurielles, comme en témoigne la définition qu’en donne la FAO :
« Des réseaux ou des systèmes incluant toutes les surfaces boisées, les groupes d’arbres et les arbres individuels se trouvant en zone urbaine et périurbaine, y compris, donc, les forêts, les arbres des rues, les arbres des parcs et des jardins, et les arbres d’endroits abandonnés. Les forêts urbaines sont les piliers des infrastructures vertes, reliant les zones rurales aux zones urbaines et améliorant l’empreinte environnementale des villes ».
Le rapide développement international des forêts urbaines
En 2018 déjà, la FAO plaçait la Journée internationale des forêts sous le thème « Forêts et villes durables ». Toujours en 2018, l’institution onusienne organisait en Italie le tout premier forum international dédié à ces espaces urbains qui donna lieu à un appel à l’action.
En 2019, le Programme des villes forestières du monde a vu le jour. Il rassemble aujourd’hui 120 villes à travers le globe (hélas aucune française), ayant prouvé leur engagement en faveur des arbres et forêts urbains.
Au plan européen, le sujet paraît tout aussi éminent : dans sa nouvelle Stratégie biodiversité parue en 2020, récemment votée par le Parlement, la Commission européenne appelle notamment « les villes européennes de 20 000 habitants ou plus à élaborer d’ici la fin 2021 des plans ambitieux d’écologisation de l’espace urbain », lesquels « devraient comprendre des mesures visant à créer des forêts, des parcs et des jardins urbains offrant une riche biodiversité et facilement accessibles ».
Floraison de « forêts Miyawaki » en France
Après les élections municipales de 2020, nombre d’édiles français nouvellement (ré)installés ont fait naître sur leur territoire des « forêts Miyawaki ».
Une façon de répondre aux attentes des citoyens : plus de 8 Français sur 10 aspirent en effet à vivre près d’un espace vert en ville ; 6 sur 10 estiment que le développement de nouvelles zones vertes doit être la priorité numéro 1 des communes, tandis que 90 % déclarent avoir besoin d’un contact quotidien avec le végétal.
Donner corps à une « forêt Miyawaki » consiste à planter un vaste cortège d’essences d’arbres et d’arbustes indigènes différentes (jusqu’à 30 espèces) d’une même classe d’âge, sélectionnées après étude pédoclimatique de la zone à boiser, sur une surface de quelques centaines de mètres carrés.
L’étape capitale préalable de préparation du terrain vise à améliorer les caractéristiques physiques et chimiques du sol notamment par un travail mécanique et l’apport d’amendements naturels. Les jeunes arbres et arbustes sont ensuite plantés dans un ordre aléatoire et en forte densité (entre 3 et 5 plants par mètre carré) dans un sol recouvert de paillis fait d’une diversité d’éléments tels que du bois fragmenté ou de la paille de blé.
Selon les partisans de la méthode, les jeunes arbres sont ainsi censés se développer à rythme plus soutenu comparativement à une plantation forestière traditionnelle, donnant naissance en quelques années à un écrin de biodiversité autonome.
Des débats sémantiques et techniques
Si elle a depuis des décennies acquis ses lettres de noblesse dans les zones urbaines d’autres régions du globe, la méthode Miyawaki est récemment sujette à débats en France à mesure qu’elle se déploie.
L’une des pierres d’achoppement est affaire de sémantique. D’aucuns estiment que les espaces boisés issus de la méthode Miyawaki ne peuvent être considérés comme des « forêts » et donc appelés comme telles.
Par-delà la sémantique, certains questionnent aussi les aspects techniques des projets Miyawaki, tels que le travail du sol parfois trop perturbant, les plantations équiennes (de même âge), trop denses et donc parfois trop onéreuses, à quoi s’ajoute un cortège d’essences potentiellement mal adaptées aux conditions climatiques futures comme le hêtre ou condamnées par les invasions biologiques, à l’image des frênes.
Les données scientifiques manquent encore
L’un des principaux griefs faits aux « forêts Miyawaki » en France concerne leurs bénéfices écosystémiques présentés comme très avantageux et à la communication qui les accompagne.
Certains projets promettent-ils, par exemple, sans base scientifique avérée en contexte français, un taux de croissance important, de l’ordre d’un mètre par an environ, un nombre d’arbres adultes équivalent à la plantation initiale (autrement dit, 3 à 5 arbres mâtures par mètre carré), ainsi que des quantités de CO2 stockés sensiblement plus importants qu’en forêt classique.
Incontestablement, les couverts arborés urbains, tels que définis par la FAO, jouent un rôle précieux en faveur du rafraîchissement de l’air ambiant, du stockage de CO2, de la lutte contre la pollution ou encore du développement de la biodiversité locale.
Pour autant, l’état actuel des connaissances ne permet pas d’attribuer de tels bénéfices aux projets Miyawaki déployés en France, par manque de données chiffrées, scientifiquement mesurées et robustes. Et ce, tant en matière de nombre de tonnes de CO2 absorbées par les arbres, de taux de croissance de ces derniers, de maintien d’une densité d’arbres adultes aussi élevée, que de biodiversité hébergée.
Expérimenter pour s’adapter au contexte français
Face à l’urgence climatique, à l’impact sanitaire majeur de la pollution en ville et à l’intensification urbaine, la végétalisation représente une solution de premier ordre pour la transition socio-environnementale des espaces citadins, l’arbre constituant à l’évidence une pièce maîtresse de cette transition.
Au regard des débats actuels sur les « forêts Miyawaki », il apparaît nécessaire de mettre rapidement en place des expérimentations pour en évaluer la pertinence.
Celles-ci devraient notamment tester d’autres alternatives techniques comme la limitation du travail du sol, le mélange d’essences en mosaïque et non pied à pied, la réduction de la densité de plantation et le choix raisonné des essences (pouvant également être originaires d’autres biomes) à associer dans le mélange pour tenir compte de leur complémentarité fonctionnelle et de leur adaptation aux stress climatiques.
De plus, une attention constante devrait être portée à l’intégration de ces projets de plantations dans le contexte du paysage urbain afin de les insérer dans les trames écologiques.
Un protocole de suivi à initier
Cette démarche expérimentale n’aura véritablement de sens et d’impact que si elle est rigoureusement observée, mesurée et discutée.
Pour ce faire, un protocole de suivi devrait lui être associé. Ce dernier pourrait notamment mesurer au fil des ans le taux de reprise, le taux de croissance, la densité et la diversité d’essences. Il pourrait également comprendre une analyse des sols, afin de mesurer l’évolution de la matière organique. Enfin il devrait s’accompagner d’une évaluation des services écosystémiques associés, depuis le stockage de carbone jusqu’à l’accueil d’une biodiversité adaptée au contexte urbain.
Afin de prendre en compte les attentes des gestionnaires et décideurs publics, ces expérimentations sur les « forêts Miyawaki » devraient associer les instituts de recherche et les entreprises promouvant cette méthode, à l’image de Reforest’Action qui s’engage progressivement dans cette voie expérimentale.
Cette coopération devrait permettre d’accélérer la mise au point de « petites forêts urbaines » assurant un réel bénéfice pour des villes plus durables et désirables.
Philippe Gourmain (expert forestier), Stéphane Hallaire (président de Reforest’Action) et Hervé le Bouler (consultant Interface Forêt) sont co-auteurs de cet article.
Alexis Ducousso, Ingénieur de recherches, Inrae ; Hervé Jactel, Directeur de recherche en écologie forestière, Inrae et Serge Muller, Professeur, chercheur à l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (UMR 7205 ISYEB, CNRS, MNHN, SU, EPHE), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.