Recherche scientifique

Évolution et physiologie des mosasaures - Nouvelles données à partir de la structure interne d’os fossiles

Une équipe internationale, dont Damien Germain, chercheur au Centre de recherche sur la paléobiodiversité et les paléoenvironnements (Muséum national d’Histoire naturelle/CNRS/UPMC), vient d’effectuer de nouvelles découvertes sur les mosasaures, un groupe éteint de lézards marins, en étudiant la structure interne des os. Elle montre notamment une augmentation progressive de leurs capacités de nage au cours de leur évolution, illustrant des phénomènes de convergence (1) entre les mosasaures et les cétacés, ainsi qu’un métabolisme comparable à celui de la tortue luth. Les résultats sont publiés aujourd’hui dans la revue PLoS ONE.

Les mosasaures sont des lézards de taille moyenne à géante qui ont évolué dans les mers du Crétacé supérieur entre - 98 et - 66 Ma. Au cours de leur évolution, ils ont atteint une distribution mondiale, accompagnée d'une augmentation marquée de leur taille corporelle (jusqu'à 15 m de long) et des adaptations à un mode de vie pélagique. La transition de formes plutôt petites à nage peu efficace à des formes géantes pélagiques est facilement apparente non seulement au niveau anatomique, mais aussi dans leur architecture osseuse interne, qui a subi de profondes modifications.

Cette publication décrit les spécialisations microanatomiques (2) et histologiques (3) observées dans des sections d'os longs réalisées dans une lignée de mosasaures, la sous-famille des mosasaurinés, et compare ces caractéristiques à celles observées chez les squamates actuels (lézards, serpents) et des formes actuelles et éteintes d'amniotes semi-aquatiques à exclusivement aquatiques.

En combinaison avec les connaissances récemment acquises sur la structure interne de côtes et vertèbres, les chercheurs en ont déduit des implications possibles sur l'évolution des mosasaurinés, sur leur adaptation au milieu aquatique, leurs vitesses de croissance ainsi que leurs taux de métabolisme basal.

Les résultats de cette étude montrent que les vitesses de croissance des mosasaures étaient considérablement plus élevées que celles des squamates actuels. Or la vitesse de croissance des os est indirectement liée au métabolisme de base et à la physiologie thermique. Cela confirme un métabolisme gigantothermique chez les mosasaures, comme chez la tortue luth actuelle Dermochelys, à savoir le maintien d'une température interne élevée au moyen d'une grande taille corporelle. Plus précisément, l’analyse suggère que le métabolisme basal des mosasaures était plus élevé que celui de Dermochelys, bien qu'inférieur à ceux supposés pour les plésiosaures et ichthyosaures, deux autres lignées d’amniotes marins du Mésozoïque (-250 à -65 Ma).

Au sein des mosasaures, les formes possédant des membres et un bassin typiques d'organismes terrestres montrent une augmentation en masse de leurs os associée à un contrôle hydrostatique de la flottabilité et de l'assiette corporelle, généralement observée chez les nageurs peu actifs vivant dans des environnements aquatiques peu profonds (4). Réciproquement, les formes géantes exhibant des palettes natatoires et sans sacrum (c'est à dire sans connexion entre la colonne vertébrale et les membres postérieurs) présentent une organisation interne spongieuse, plutôt typique de nageurs pélagiques actifs.

Le mosasaure Dallasaurus possède une mosaïque de caractères représentatifs d’animaux terrestres (anatomie des membres, structure tubulaire des fémurs et côtes) et d’autres suggérant des structures d’animaux aquatiques (absence de sacrum, vertèbres spongieuses, humérus très compact). Dallasaurus illustre ainsi un troisième grade écologique au sein des mosasaurinés (et des mosasaures en général), suggérant une transition écologique plus progressive que précédemment supposé.

L'image plus complète des diverses tendances microanatomiques observées chez les mosasaures dans cette étude met en évidence l'idée de convergence évolutive entre cette lignée de squamates et les cétacés au cours de la transition écologique d'un mode de vie littoral à un mode de vie pélagique.

 

Changements dans la microanatomie de l’humérus au cours de l’évolution des mosasaures

© D. Germain / A. Houssaye

1. Apparition des structures identiques entre des groupes qui n’ont pas de lien de parenté proches. Ex. des ailes des oiseaux et des chauves souris : même fonction mais origine évolutive différente.
2. La microanatomie osseuse (organisation interne des os) informe notamment sur les spécialisations liées aux contraintes mécaniques associées à la locomotion et sur le mode de contrôle, hydrostatique ou hydrodynamique, de la flottabilité et de l'assiette corporelle dans l'eau.
3. L'histologie osseuse (type et caractéristiques des tissus osseux) fournit notamment des informations sur la vitesse de croissance et le métabolisme.
4. Mécanisme pouvant être comparé au ballast d’un sous-marin.

Références

Alexandra Houssaye, Johan Lindgren, Rodrigo Pellegrini, Andrew H. Lee, Damien Germain, Michael J. Polcyn
Microanatomical and Histological Features in the Long Bones of Mosasaurine Mosasaurs (Reptilia, Squamata) – Implications for Aquatic Adaptation and Growth Rates.
PLoS ONE, 16 octobre 2013. DOI: 10.1371/journal.pone.0076741