
Coulisses
Deux dodos débarquent dans la Grande Galerie de l’Évolution
2024 marque l’anniversaire des 30 ans de la Grande Galerie de l’Évolution. À cette occasion, les ateliers de taxidermie du Muséum réalisent une reconstitution de deux dodos, symbole des animaux disparus. S’engage alors une enquête palpitante : comment produire une représentation réaliste d’animaux que l’on connaît si mal ?
2012, le début de l'enquête
C’est en 2012 que commence l’aventure du dodo (Raphus cucullatus). Camille Renversade, artiste plasticien, entreprend de faire une reconstitution de l’animal aujourd’hui disparu. Pour ce faire, il s’appuie notamment sur un dialogue engagé avec les scientifiques Éric Buffetaud et Delphine Angst, des paléontologues spécialistes des dodos.
Reconstitution du squelette
Les premières mesures sont alors prises sur un squelette du musée des Confluences1 recomposé à partir des os retrouvés dans la Mare aux Songes, à l’île Maurice. C’est à partir de ces traces concrètes que des photographies sont prises par l’artiste pour connaître les dimensions exactes de l’animal, et envisager une potentielle recréation.
- 1Les squelettes de dodos sont assez rares, celui du Musée des Confluences est, avec celui du Muséum, l'un des seuls en Europe.
De très rares reliques
Suite à l’arrivée sur l’île Maurice de navigateurs européens, le dodo a vu son environnement changer drastiquement ce qui a causé sa disparition en moins d’un siècle. Il existe très peu de "reliques" de dodo. À Oxford est conservée une tête momifiée ; et au Muséum d’Histoire naturelle de Londres, on trouve une patte. Il est donc très difficile de reconstituer l’apparence d’un animal avec seulement le squelette et ces deux parties organiques…
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Une première recréation
À partir de photographies de peintures d’époque accessibles et en se fondant sur la morphologie des os du dodo, un premier modèle de dodo est ainsi recréé. Pour le mettre en place, il a fallu mouler les diverses parties de son corps grâce à du silicone, apporter les détails de ses pattes à la plastiline, puis remodeler son corps grâce à de la résine.
Tous les moulages des pattes, de la tête et du corps ont également été validés scientifiquement. Les plumes du premier prototype venaient, quant à elles, de dindons.
Un projet du Muséum
Pour les 30 ans de la Grande Galerie de l’Évolution, le Muséum national d’Histoire naturelle décide de remettre sur le devant de la scène cet animal emblématique des animaux disparus et de concevoir une scène vivante avec deux dodos.
Le taxidermiste Vincent Cuisset, qui avait fait la mise en plumes du premier prototype de Camille Renversade, a collaboré de nouveau avec l’artiste à cette occasion. Leur travail se centre alors autour de l’actualisation du premier moule terminé en 2013 à la suite de découvertes scientifiques récentes. Un grand travail a ainsi été prodigué sur le mouvement et la posture de l’animal, tandis que la question des plumes était à nouveau mise au premier plan.
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Reconstitution de dodos dans les ateliers de taxidermie du Muséum (Création Camille Renversade Artiste et co-réalisateur, et MNHN)
© MNHN - J.-C. Domenech
Reconstitution de dodos dans les ateliers de taxidermie du Muséum (Création Camille Renversade Artiste et co-réalisateur, et MNHN)
© MNHN - J.-C. Domenech
Reconstitution de dodos dans les ateliers de taxidermie du Muséum (Création Camille Renversade Artiste et co-réalisateur, et MNHN)
© MNHN - V. Briand
Reconstitution de dodos dans les ateliers de taxidermie du Muséum (Création Camille Renversade Artiste et co-réalisateur, et MNHN)
© MNHN - V. Briand
Dessin d'un spécimen de la collection de l'empereur Rodolphe II, à Prague, par Jacob Hoefnagel (début du XVIIe siècle)
C0 J. HoefnagelDes plumes, oui, mais lesquelles ?
Il n’existe plus de dodo, comment, alors, savoir quelles plumes utiliser pour être les plus fidèles à la réalité ? En étudiant des tableaux et des gravures, il apparaissait pour les taxidermistes que deux types de plumes pouvaient être visibles sur un dodo. Comment, et pourquoi, l’oiseau passait-il du duvet un peu rêche au plumage soyeux ? La réponse se trouvait dans une publication de Delphine Angst : ces oiseaux de l’île Maurice ont une croissance très rapide, et ils ne gardaient pas leur duvet juvénile très longtemps. En revanche, tous les ans, leur région était balayée par les cyclones de l’été austral, ce qui détériorait le plumage de nos dodos. À la fin de la belle saison, nos dodos n’ont plus que leur duvet puisque leurs plumes sont tombées, et commence la repousse de leurs plumes plus magistrales.
Pour la scène, ce sont cette fois-ci des plumes d’oies2 qui ont été choisies. Ces oiseaux ont été sélectionnés car leur taille était plus ou moins similaire. Les plumes ne sont donc pas trop petites par rapport à la taille du dodo !
- 2Aucun animal n'a été tué pour les besoins de reconstitution de dodos. Le taxidermiste du Muséum a simplement récupéré des animaux morts de causes naturelles plus tôt dans l'année.
Représenter la rencontre entre humain et dodo
Pour ce projet très particulier, il a été choisi de représenter non pas un dodo statique, mais une scène avec deux drontes3. Ce couple de dodos vient à la rencontre des humains, et fait preuve de réactions amusantes : l’un est curieux et l’autre est plutôt grincheux. Ces poses spécifiques viennent de la description donnée dans des récits d’explorateurs au XVIIe siècle : étonnés, un peu hautains, imposants… Ces reconstitutions ont pour objectif d’être les plus fidèles aux témoignages de l’époque et aux connaissances scientifiques actuelles.
Un dodo plus mince qu’on le croyait
Dans l’esprit commun, influencé par des tableaux du XVIIe siècle, le dodo était un très gros oiseau ! Certes, l’animal était dodu, mais les scientifiques confirment qu’il ne l’était bien moins qu’on ne le pensait. Ne sachant pas précisément quelles étaient les proportions de l’animal à l’époque, ni à quoi ressemblait son corps, il était alors représenté comme très épais. Les rares peintures d’eux que l’on connait sont celles de dodos en captivité et particulièrement bien nourris.
- 3Le dodo est le surnom donné au Dronte de l'île Maurice.

Le Dodo vu par Roelandt Savery, après observation d'un individu vivant importé en Europe au début du XVIIe siècle
C0 H. E. Strickland
Dessins d'un dodo tirés du journal de bord d'un vaisseau de la Compagnie des Indes Orientales, le VOC Gelderland, lors d'un voyage effectué entre 1601 et 1603
C0 J. CarolusUn travail au contact des scientifiques
Ainsi, le travail autour de la recréation des dodos s’est fait avec des scientifiques comme Anick Abourachid, Professeure du Muséum spécialisée sur la question de la posture des oiseaux. Celle-ci a pu apporter son expertise sur la position des pattes de ces oiseaux, sur leur morphologie et sur la forme que pouvaient avoir leurs griffes.
Pour ce travail, elle s’est fondée sur son article prouvant que les pieds des oiseaux se situent toujours à l’aplomb de leur genou lorsqu’ils sont debout. Une autre chercheuse de l'université du Cap en Afrique du Sud, Delphine Angst, s’était également intéressée à la question du poids du dodo, en utilisant une méthode qui met en relation la taille des os et le poids des oiseaux. Elle a aussi trouvé des informations sur son mode de vie en étudiant la structure interne de ses os. Toutes ces recherches ont servi à donner des ressources supplémentaires aux taxidermistes autour d’un oiseau méconnu.
Le Muséum est en effet un centre de recherche reconnu sur la biologie et l’évolution des oiseaux. Son expertise en paléontologie et en morphologie fonctionnelle d’espèces contemporaines a permis d’ajuster le plus précisément possible cette nouvelle recréation. Ce travail, qui est le fruit d’une étroite collaboration entre scientifiques, taxidermistes et artistes, a ainsi permis d’être le plus juste possible aux vues des connaissances actuelles.
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Reconstitution du Dodo ou Dronte de l'Île Maurice à l'Atelier de taxidermie du Muséum, par Henry Coeylas
© MNHN - Direction des bibliothèques et de la documentation
Vincent Cuisset, taxidermiste au Muséum, et Camille Renversade, artiste, dans les ateliers de taxidermie du Muséum
© MNHN - V. BriandVenez voir les dodos dès mars 2024 !
À l’occasion du week-end festif autour des 30 ans de la Grande Galerie de l’Évolution, le 23 et 24 mars 2024, venez rencontrer les dodos, enfin dévoilés ! Ils seront exposés à l’entrée de la Salle des espèces disparues située au premier étage de la Galerie.

Reconstitution de dodos par les ateliers de taxidermie du Muséum (Création Camille Renversade Artiste et co-réalisateur, et MNHN)
© MNHN - J.-C. DomenechRemerciements à Vincent Cuisset, taxidermiste du Muséum, Camille Renversade, artiste, et Anick Abourachid, directrice adjointe de l’UMR 7179 MECADEV au Muséum national d’Histoire naturelle, pour leur relecture et leur contribution.
Références scientifiques :
- Angst, D., Chinsamy, A., Steel, L. et al. Bone histology sheds new light on the ecology of the dodo (Raphus cucullatus, Aves, Columbiformes). Sci Rep 7, 7993 (2017). https://doi.org/10.1038/s41598-017-08536-3
- Angst, D., Buffetaut, E. & Abourachid, A. The end of the fat dodo? A new mass estimate for Raphus cucullatus . Naturwissenschaften 98, 233–236 (2011). https://doi.org/10.1007/s00114-010-0759-7
- Abourachid Anick, Chevallereau Christine, Pelletan Idriss and Wenger Philippe 2023, An upright life, the postural stability of birds: a tensegrity system J. R. Soc. Interface.- 20 : 2023043320230433 http://doi.org/10.1098/rsif.2023.0433
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