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Des outils en os de baleine datant de la fin du Paléolithique dévoilent les liens entre humains et monde marin
Autour du golfe de Gascogne, entre 20 000 et 14 000 ans avant le présent, des chasseurs-cueilleurs ont exploité les carcasses échouées de plusieurs espèces de grandes baleines pour en tirer outils en os, graisse ou fanons. Une étude menée par une équipe internationale comprenant des scientifiques du Muséum et publiée dans Nature Communications révèle cette interaction méconnue entre humains et milieux marins à la fin du Paléolithique. Elle offre ainsi un nouvel éclairage sur l’écologie côtière de cette zone durant le Magdalénien.
L’utilisation méconnue de ressources marines par les humains du Paléolithique
On a longtemps imaginé que les chasseurs-cueilleurs ayant vécu en Europe il y a environ 20 000 ans, au Paléolithique, vivaient presque uniquement de la chasse aux grands animaux terrestres, notamment des herbivores. Pour autant, de plus en plus de découvertes ont prouvé qu'ils utilisaient aussi des ressources issues de la mer : des études ont mis en lumière une consommation de mammifères marins par les humains autour du golfe de Gascogne.
Cette nouvelle étude va également en ce sens puisque l’analyse de 70 outils en os de baleine et de 60 fragments d’os a révélé que les humains de cette époque exploitaient les carcasses d'au moins cinq espèces différentes de grands cétacés : le rorqual commun, la baleine bleue, la baleine grise, le cachalot, et la baleine franche ou boréale. D'autres analyses ont même identifié une espèce de marsouin.
C'est la première fois que la présence de la plupart de ces espèces marines est formellement identifiée dans ce contexte archéologique du Paléolithique récent. C’est aussi la première fois que l’on a pu confirmer que les habitudes alimentaires de ces espèces étaient plus ou moins les mêmes qu’aujourd’hui.
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Espèces représentées parmi les outils en os de baleine (en haut) et les fragments d’os de baleine provenant du site basque de Santa Catalina (en bas)
© CNRS - J.-M. PétillonComment étaient exploitées les ressources marines à l’époque ?
L'utilisation d'os de baleine pour fabriquer des outils aurait débuté il y a environ 20 000 à 19 000 ans sur les côtes sud du golfe de Gascogne. C’est à ce jour la plus ancienne preuve de travail de cette matière par des chasseurs-cueilleurs.
Les outils fabriqués étaient principalement des éléments d'armes de chasse, comme des pointes de projectile. L'os de baleine était probablement choisi pour sa taille, qui permettait de faire de longs outils.
En plus des os, les carcasses fournissaient d'autres ressources précieuses comme la graisse et les fanons (sortes de lames fibreuses dans la bouche de certaines baleines), qui pouvaient avoir de nombreux usages, parmi lesquels la fabrication de liens et de filets.
Ce que ces outils disent du lien entre humains et l’écosystème de l’époque

Fouille en avril 2022 dans la grotte basque d’Isturitz, où ont été découverts plusieurs dizaines d’objets en os de baleine (fouille : C. Normand)
© CNRS - J.-M. PétillonEn plus d’une identification d’espèces et de dates de fabrication, les résultats de cette étude remettent en question l’idée selon laquelle les humains n’exploitaient que des ressources terrestres. Ils auraient, au contraire, eu une connexion forte et ancienne avec le monde marin : cette période aurait été marquée par l’intensification de l’usage de ressources marines.
Cependant, l’usage des os de baleine a fortement diminué il y a 16 000 ans, sans que l’on ne sache précisément pourquoi - un changement dans les préférences de matériaux reste une hypothèse probable.
Enfin, cette étude est particulièrement révélatrice sur les espèces marines que côtoyaient les humains à cette période. Par exemple, la présence de la baleine grise (disparue de l'Atlantique Nord au 18e siècle) à cette période tardive du Paléolithique suggère une continuité de cette population entre la dernière glaciation et les époques plus récentes, un phénomène qui était jusqu’ici débattu. L’écosystème marin du golfe de Gascogne il y a 20 000 ans s'avère donc riche d’une grande diversité de cétacés.
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Relecture scientifique

Jean-Marc Pétillon
Préhistorien, chargé de recherche au CNRS, laboratoire TRACES (Toulouse)

Antoine Zazzo
Bioarchéologue, au sein de l'unité de recherche BioArchéologie, Interactions Sociétés Environnements (UMR 7209 - BioArch) (CNRS, Muséum national d’Histoire naturelle)
Référence scientifique
McGrath, K., van der Sluis, L.G., Lefebvre, A. et al. Late Paleolithic whale bone tools reveal human and whale ecology in the Bay of Biscay. Nat Commun 16, 4646 (2025). https://doi.org/10.1038/s41467-025-59486-8
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