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Des moustiques mâles du Crétacé pouvaient aussi sucer le sang

C’est la même histoire chaque été : les moustiques viennent nous piquer ! Si aujourd’hui seules les femelles se nourrissent de sang, une découverte récente prouve qu’au Crétacé, certains mâles pouvaient aussi le faire. Comment faisaient-ils ? Pourquoi ont-ils disparu ? Rencontre avec André Nel, Professeur du Muséum.

Comment avez-vous découvert que ces moustiques mâles pouvaient se nourrir de sang ?

Détail de la tête d'un spécimen de moustique hématophage du Crétacé

Détail de la tête d'un spécimen de moustique hématophage du Crétacé

© D. Azar

En étudiant les fossiles, nous avons remarqué que ces deux spécimens possèdent des structures, des pièces buccales, qui sont propres aux diptères du groupe voisin des moustiques. Cela se retrouve aussi chez les Cératopogonidés, des animaux apparentés aux moustiques. Nous avons noté que leurs mandibules étaient allongées, avec de petites denticulations aux extrémités, et que les lacinia étaient présentes aussi – autant d’indices pointant vers l’hématophagie. En effet, ces pièces permettent de percer et de cisailler, elles servent donc aux piqueurs. Chez les insectes qui se nourrissent de nectar (comme les mouches), ces denticulations n’existent pas. Pour autant, les femelles moustiques actuelles ont ces structures, et peuvent se nourrir ou bien de sang ou bien de nectar. Le sang leur permet d’avoir des protéines qui vont leur permettre de maturer les œufs. Le nectar, lui, est source de sucre et donc d’énergie !

Savez-vous à quoi cela servait pour des moustiques mâles de se nourrir de sang ?

Pas vraiment ! Étant donné qu’il n’y a pas vraiment d’équivalent moderne chez les moustiques mâles, on ne peut pas savoir. Il y a eu des expérimentations de nourrissages de moustiques mâles avec du sang, et il a été remarqué que les moustiques l’avalent, mais ils ont vraiment du mal à le digérer. En effet, le sang n’est pas très digeste, même pour nous ! Il faut pouvoir le dégrader, éliminer les micro-organismes qui se baladent à l’intérieur – les virus, bactéries, etc. – qui peuvent être délétères et tuer l’animal. La vocation de vampire n’est vraiment pas pour tout le monde !

Ce que l’on peut penser, c’est que ces moustiques mâles se servaient de sang pour avoir des produits secondaires au moment de la copulation en plus grande qualité, voire du sperme plus abondant aussi. Évidemment, puisqu’aujourd’hui on ne voit plus de mâles piqueurs, ils n’ont pas eu de descendants. Il est possible que ces moustiques soient une "dead end", une solution sans lendemain, qui auraient coexisté avec ceux qui ont donné les lignées modernes et qui ne se nourrissaient pas de sang. Seule la découverte de nouveaux fossiles nous le dira.

Connaissons-nous beaucoup de fossiles de moustiques du Crétacé ?

Spécimen de moustique hématophage du Crétacé pris dans l'ambre

Spécimen de moustique hématophage du Crétacé pris dans l'ambre

© D. Azar

Non, pour le moment, nous avons très peu de moustiques datant de cette période, et de moustiques fossiles en général. On en connait davantage qui datent du Cénozoïque, mais du Crétacé supérieur (c’est-à-dire plus jeune que 100 millions d’années), on n’en connait que 3 ou 4 espèces. Cette découverte est importante car les spécimens que nous avons étudiés datent d’il y a 130 millions d’années, ce sont les plus vieux que l’on connaisse pour le moment.

Des animaux fragiles

Si on connaît aussi peu de fossiles de moustiques, c’est parce que ce sont des bêtes qui ne se fossilisent pas très bien. Même s'ils vivent proche de l’eau et qu’on peut en retrouver dans des fossiles lacustres, on a beaucoup de mal à distinguer les tout petits insectes qui sont pris dans les sédiments. Les détails de leurs corps ne sont pas bien visibles. Il y a de grands problèmes de conservation sur les fossiles qui nous empêchent souvent de dire à quoi on a affaire : à cette période, des familles de moucherons et de moustiques sont extrêmement proches physiquement et il est difficile de savoir les distinguer. En fait, les seuls fossiles de moustiques que l’on connaît bien sont ceux pris dans de l’ambre, car on peut bien voir les détails de leur organisme.

Le saviez-vous ?

Les ambres du Crétacé du Liban sont les plus anciens ambres dans lesquelles on a des faunes d’insectes très diversifiés et en très bonne quantité. On trouve aussi des ambres du Trias en Italie, mais ils contiennent assez peu d’animaux, et se limitent à quelques gouttelettes.

Avez-vous une hypothèse qui expliquerait leur disparition ?

Il faut savoir que toute structure particulière a un coût. Si le ratio coût/avantage est défavorable, l'espèce finit par disparaître. Ici, le coût énergétique de ces moustiques mâles hématophage est important. Ils perdaient beaucoup d’énergie pour digérer, tandis que d’autres moustiques n’avaient pas besoin de sang pour vivre. Ces derniers ont pu prendre le pas sur les autres, mais ce n’est qu’une hypothèse ! Il est aussi possible que leurs larves aient eu une biologie qui les handicapait par rapport à d’autres prédateurs… Ce ne sont que des hypothèses, on ne peut pas vraiment savoir ce qui s’est passé !

Quand serait apparue cette capacité à se nourrir de sang ?

Apparition des moustiques

On pense que la lignée des moustiques serait apparue au début du Jurassique, il y a entre 180 et 200 millions d’années. Il y aurait peut-être une correspondance il y a 200 millions d’années avec le développement des premiers mammifères et ptérosaures, donc des animaux dont la peau était moins coriace que celle de vertébrés avec des écailles - animaux qui auraient pu être piqués. Encore une fois, c’est une hypothèse de penser que la lignée de développement des moustiques serait liée à cette diversification des mammifères et des ptérosaures, puisque ces choses ne laissent pas de traces dans les fossiles !

Les femelles moustiques aujourd’hui digèrent le sang, mais ont sans doute dû évoluer pour faire face aux maladies comme la fièvre jaune ou le chikungunya.

Autres insectes piqueurs

Parmi les Cératopogonidés, certains se sont adaptés pour percer la peau des batraciens. Au Jurassique inférieur ou moyen, on a également les premières puces qui sont également hématophages ! Ces puces de 5 cm sont peut-être apparues en même temps que les animaux avec des poils et des plumes, pour s’accrocher dessus. Voilà encore une autre hypothèse.

Par contre, si certaines mouches ont développé cette capacité à digérer le sang, c’est suite à une mutation ! Elle s’est ensuite maintenue et diversifiée. Mais dans des lignées frères, on ne retrouve pas cette même capacité. Il y a donc le hasard des mutations, puis le maintien du nouveau caractère qui permet à une espèce de survivre et de se diversifier.

Avez-vous d’autres perspectives de recherche suite à votre découverte ?

Les moustiques que nous avons étudiés sont les plus anciens connus, même si nous cherchons déjà des spécimens encore plus vieux. Nous chercherons au Liban, en Chine… Cela apportera peut-être plus d’informations sur les premiers moustiques, peut-être arriverons nous à remplir le "vide" de fossiles de moustiques du Jurassique. Déjà, il n’était pas évident que les premiers insectes de la ligne des moustiques aient été hématophages ! Ils auraient pu devenir hématophages, mais ne pas forcément l’être dès le début de la lignée. Il faut bien comprendre que les organismes sont des mosaïques de caractéristiques, et que le timing d’apparition de ces caractéristiques ne fonctionne pas sur le mode "tout ou rien". En effet, on ne peut pas dire "à un moment donné un moustique apparaît qui est tout armé". Tout cela s’est déroulé de manière progressive dans l’Évolution.

Remerciements à André Nel, Professeur du Muséum national d'Histoire naturelle (UMR 7205, Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité), pour sa relecture et contribution.

Le Crétacé dans l'histoire de la vie

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2316
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