Sciences

Couper les cornes des rhinocéros pour les sauver du braconnage ?

Selon une étude parue dans la revue Science le 5 juin dernier, l’écornage aurait réduit le braconnage de rhinocéros de 78 % en Afrique du Sud entre 2017 et 2023 ! Un résultat impressionnant, qu’il est important de nuancer, comme le précisent les auteurs.

Des cornes particulièrement convoitées

Portrait de rhinocéros blanc (Ceratotherium simum)

Portrait de rhinocéros blanc (Ceratotherium simum).

© @shams EtienneOutram - stock.adobe.com

Aujourd’hui, c’est en Afrique du Sud que se concentre la majorité des rhinocéros du continent, avec pas moins de 14 000 rhinocéros blancs (Ceratotherium simum), soit près de 80 % des individus présents sur le territoire et 2 000 rhinocéros noirs (Diceros bicornis), soit 32 % des individus restants à l’état sauvage. Et si les rhinocéros blancs ont pu être sauvés de l’extinction grâce à une politique active et des efforts intensifs de conservation, la situation des rhinocéros noirs est beaucoup moins reluisante : en danger critique d’extinction, les populations sauvages ont drastiquement décliné au cours des dernières décennies, décimées par une chasse intensive.

Le braconnage des rhinocéros (qu’ils soient blancs ou noirs) est en effet principalement motivé par la revente de leurs cornes, utilisées en médecine traditionnelle pour leurs prétendues vertus thérapeutiques mais aussi comme symbole de statut social en Asie (notamment en Chine, au Vietnam, en Thaïlande et au Laos). Le commerce illégal d'animaux sauvages est ainsi le troisième marché le plus lucratif après celui des drogues et des armes à feu, et pour cause : le prix d’un seul kilogramme de corne varie entre 10 000 et 15 000 $ (USD) ! 

Le saviez-vous ?

La corne d'un rhinocéros adulte pèse environ 5 kg. À elle seule, et en tenant compte des prix les plus récents sur le marché, elle peut être vendue par un braconnier pour la modique somme de 50 000 à 75 000 $ (USD) !

Malgré les efforts de conservations réguliers et l'investissement de plusieurs dizaines de millions de dollars dans diverses interventions anti-braconnage, ce fléau persiste, menaçant les rhinocéros tout en ayant des conséquences parfois insoupçonnées : perturbation de l'équilibre des écosystèmes, réduction des revenus touristiques, renforcement des syndicats du crime (souvent les mêmes qui gèrent les trafics de drogue dans leurs pays) ou encore pertes humaines engendrées par des violences entre gardes forestiers et braconniers.  

Un braconnage réduit de 78 % !

Dans un 1paru le 5 juin dans la revue Science, des chercheurs ont étudié l’efficacité et le rapport coût-bénéfice de diverses approches anti-braconnage déployées entre 2017 et 2023 dans onze réserves naturelles dans la région du Grand Kruger (Afrique du Sud). Si certaines mesures comme la mise en place de gardes forestiers armés, de chiens pisteurs ou encore de caméras de surveillance n’ont pas eu d’effet statistiquement quantifiable sur la réduction du braconnage, ce n’est pas le cas de l’écornage. Cette pratique, qui consiste à couper les cornes des rhinocéros de manière ponctuelle, aurait permis de réduire considérablement (environ 78 %) le braconnage, tout en ne consommant qu’1,2 % du budget. Un rapport coût-bénéfice impressionnant, mais qui n’a finalement rien de surprenant.

Comme pour tout produit interdit, en retirer la présence évite de facto la collecte illégale puisqu’il n’est plus là. C’est une logique implacable, un effet instantané, et cela fait la force de ce résultat spectaculaire sur la diminution du braconnage.
Alexis Lécu, directeur scientifique au Parc zoologique de Paris.

L'écornage : une solution à nuancer

« Lorsque des articles scientifiques font la une de la presse, il est toujours extrêmement important de retourner vers l’article source pour comprendre les vraies conclusions, explique Alexis Lécu, directeur scientifique au Parc zoologique de Paris. Les reprises des agences de presse sont parfois synthétisées voire simplifiées à l’extrême, ce qui peut modifier les vrais messages à retenir. » En l’occurrence, les auteurs de l’article n’hésitent pas à nuancer leurs conclusions en attirant l'attention sur divers points de vigilance autour de l’écornage :

  • L’étude a été réalisée dans un environnement où toutes les mesures anti-braconnage finissent par se chevaucher : si l’écornage est si efficace, c’est aussi grâce à l’effet cumulatif des gardes armés, chiens pisteurs et caméras de surveillance déployés dans la région. 
     
  • Pour fonctionner, l’écornage doit être répété régulièrement, du braconnage ayant par exemple été observé chez des individus écornés dont les cornes étaient en train de repousser. 
     
  • Les effets secondaires du retrait de la corne des rhinocéros n’ont pas encore été suffisamment étudiés : s’ils semblent ne pas avoir d’impact sur leur survie et leur reproduction, les recherches actuelles suggèrent que la pratique pourrait modifier leur répartition spatiale ou encore leurs relations sociales.  
     
  • L’écornage pourrait enfin entraîner un déplacement de la pression de braconnage vers d’autres populations à cornes présentes dans des régions proches. 

À chaque lieu son approche

Rhinocéros blanc (Ceratotherium simum) au Parc zoologique de Paris

Rhinocéros blanc (Ceratotherium simum) au Parc zoologique de Paris.

© MNHN - G. Balemboy

Les conclusions de cet article prennent également en compte les caractéristiques intrinsèques des zones évaluées (onze réserves de la région du Grand Krueger), qui répondent à des critères de densité animale, de densité humaine, de relations entre faune sauvage et population natives ou encore d’infrastructures routières qui leur sont propres. Ce qui est valable pour ces réserves ne l’est pas forcément pour d’autres.

Un exemple assez parlant est celui de la réserve de Borana (refuge de 273 rhinocéros) située au Kenya. Contrairement aux réserves touristiques sillonnées de routes du Grand Krueger, celle de Borana est peu fréquentée, peu accessible et totalement intégrée à la vie des populations locales. Les dispositifs qui y sont déployés, soutenus par le Parc zoologique de Paris et l’association Save The Rhino, se concentrent plutôt sur une approche intégrée qui combine engagement communautaire et éducation des générations futures pour que la conservation des rhinocéros, mais aussi de nombreuses espèces africaines, ne soit plus perçue comme une contrainte économique.
 

Notre approche avec Borana, est de miser sur l’humain : faire en sorte que chacun puisse se projeter dans une vie locale, puisse accéder aux soins médicaux, se prémunir des aléas climatiques, avoir des projets de vie sans que cela soit au long terme directement dépendant d’une interaction ni négative (braconnage) ni positive (ecotourisme) avec les animaux sauvages. Dessiner ce chemin intermédiaire de coexistence au long cours est très vertueux et permet d’assurer l’avenir des rhinocéros à cet endroit.  
Alexis Lécu, directeur scientifique au Parc zoologique de Paris.

Relecture scientifique

Image décorative

Alexis Lécu

 Directeur scientifique du Parc zoologique de Paris

Référence scientifique

Kuiper, T., Haussmann, S., Whitfield, S. et al. Dehorning reduces rhino poaching. Science 388, 6751 (2025). https://www.science.org/doi/10.1126/science.ado7490