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Bien digérer le lait, un avantage évolutif en temps de crise

Une bonne digestion du lait a-t-elle pu favoriser la survie en temps de crise ? Une récente étude propose de nouvelles clés de lecture pour expliquer l’évolution de la tolérance au lactose, un caractère génétique que partage un tiers de la population mondiale.

L’étude publiée dans Nature renverse certaines croyances sur la raison pour laquelle les humains ont développé la capacité de digérer le lactose à l’âge adulte. Plutôt que l’habitus alimentaire lié à la domestication, ce sont au contraire des facteurs de mortalité, tels que la famine et l’exposition aux maladies, qui expliquent le mieux l’évolution de notre tolérance au lactose en Europe.

Pour parvenir à ces résultats, les scientifiques de l'Université de Bristol et de l'University College London (UCL), ainsi que des collaborateurs de 20 autres pays dont le chercheur CNRS au Muséum Jean-Denis Vigne, ont cartographié les schémas d'utilisation du lait au cours des 9 000 dernières années et combinés des données anciennes d'ADN, de radiocarbone et d'archéologie.

Du lait à tous les âges ?

Certains adultes tolèrent mieux le lait, et plus précisément le lactose. Ce sucre du lait peut être bien digéré à condition de fabriquer l’enzyme correspondante, la lactase. Présente chez presque tous les nourrissons et enfants en bas âge, la production de la lactase par l'intestin diminue rapidement entre le sevrage et l'adolescence, pour une majorité de personnes.

En effet, si la plupart des adultes européens peuvent aujourd'hui boire du lait sans gêne, deux tiers des adultes dans le monde peuvent encore rencontrer des problèmes en consommant trop de lait liquide. Un risque auquel étaient sujets presque tous les adultes il y a 5 000 ans et qui n’a pas pour autant exclu le lait des habitudes alimentaires.

Mais alors qu’en est-il du tiers restant des adultes ? Ils ont développé une mutation qui les rend persistants à la lactase. C’est-à-dire qu’ils digèrent mieux le lait, liquide et consommé en quantité. On observe ce trait génétique principalement en Europe, en Asie centrale et méridionale, au Moyen-Orient et dans certaines régions d'Afrique.

Une consommation millénaire

Grâce à l’analyse de milliers de données archéologiques, l’étude montre que l'utilisation du lait était répandue en Europe depuis 9 000 ans, depuis les toutes premières exploitations agricoles. Le lait faisait partie du régime alimentaire des populations et les individus en bonne santé, même ceux qui ne sont pas persistants à la lactase, pouvaient en consommer sans tomber malades.

Le trait de persistance à la lactase a été retrouvé chez des individus vieux de 5 000 ans, alors que les populations consommaient déjà du lait. Il s'est répandu rapidement il y a 3 000 ans pour devenir majoritaire dans certaines régions du monde et surtout en Europe. Comment alors comprendre ce phénomène, que la simple consommation de lait ne suffit à expliquer ?

La tolérance au lactose : un atout pour la survie

Pour les individus souffrant de malnutrition sévère, ou affaiblis par la maladie, les diarrhées provoquées par l’absence de digestion du lactose peuvent être fatales. De là, les chercheurs ont postulé qu’en cas de mauvaises récoltes, les populations préhistoriques devaient compenser par la consommation de lait - non fermenté, donc à haute teneur en lactose - aggravant les fragilités digestives et le risque de mortalité.

Leurs analyses ont clairement confirmé que le gène de la persistance de la lactase a fait l'objet d'une sélection naturelle plus forte lorsque les indices de famine et d'exposition aux agents pathogènes étaient plus nombreux.

Dans la préhistoire tardive, à mesure que les populations et les établissements humains augmentaient, la santé humaine aurait été de plus en plus affectée par le manque d'hygiène et l'augmentation des maladies diarrhéiques. Dans ces conditions, la consommation de lait aurait entraîné une augmentation des taux de mortalité et a fortiori chez les personnes plus vulnérables ne possédant pas de lactase. A l’inverse, les personnes dotées du gène avaient plus de chance de survie et donc de capacité à le transmettre à une descendance.

Référence :

La famine et les agents pathogènes ont favorisé l'évolution de la tolérance au lactose en Europe.
Evershed, R.P., Davey Smith, G., Roffet-Salque, M. et al. Dairying, diseases and the evolution of lactase persistence in Europe. Nature (2022). https://doi.org/10.1038/s41586-022-05010-7

Pour aller plus loin :