À Angeac, la découverte d'une nouvelle espèce de dinosaure
Chaque année, les fouilles menées par des scientifiques du Muséum en Charente apportent leur lot de découvertes. Cette année se démarque par son caractère exceptionnel : une nouvelle espèce de dinosaure serait sortie de terre ! Entretien avec Ronan Allain, paléontologue au Muséum et responsable des fouilles à Angeac.
Chaque été, le chantier d’Angeac s’ouvre pour 3 semaines de fouilles. Qu’avez-vous découvert cette année ?
L’objectif de cette campagne était d'ouvrir de nouvelles surfaces de fouilles afin de confirmer l’extension du gisement fossile vers le Sud. Nous étions à peu près certains de découvrir des os fossilisés, mais n'avions aucune idée précise sur l’identité des dinosaures à qui ils appartiendraient. La fouille a pris un peu de retard à cause de la météo, l'humidité du terrain empêchant la tractopelle de se déplacer sans s’enfoncer.
Finalement, après 4 jours, une nouvelle surface d'un peu plus de 100 m2 a été préparée et la pelleteuse a mis au jour l’extrémité d’un fémur. Les fouilleurs ont vite pris le relais et trois semaines après, ils avaient mis à jour une partie du squelette d’un grand dinosaure sauropode partiellement en connexion, c’est-à-dire dont les os n’ont pas été désarticulés après la mort de l’animal. Nous avons d’abord pensé avoir découvert les restes d’un nouveau spécimen de turiasaure, le dinosaure sauropode dont nous trouvons des restes à Angeac depuis 2010, mais rapidement nous nous sommes rendu compte que l’anatomie de ce dinosaure était différente de celle des turiasaures. La différence résidait en particulier dans la morphologie des dents. Celle-ci m’a rapidement permis de faire le rapprochement avec Camarasaurus, un dinosaure assez célèbre, dont on ne connait de squelettes entiers qu’aux États-Unis. C’est donc bien une nouvelle espèce de sauropode proche de Camarasaurus que nous avons découvert cet été à Angeac.
Lire aussi
Qu’est-ce qu’un dinosaure ?
À quoi pouvait ressembler ce sauropode ?
Nous possédons pour l'instant 4 vertèbres dorsales articulés, une vingtaine de côtes, trois os du bassin, un fémur, une bonne partie de la mâchoire inférieure et une bonne vingtaine de dents de ce nouveau sauropode. Cependant, nous sommes très loin d’avoir fouillé l’ensemble de la nouvelle zone et il est certain que l’année prochaine en étendant encore les fouilles nous trouverons la suite du squelette. Les os n’ayant pour l’instant pas encore été préparés et l’ensemble du squelette n’ayant pas été complètement découvert, il est difficile de décrire en détails ce nouveau sauropode.
On peut néanmoins en dresser un "portrait-robot" car la morphologie de ses dents (qui sont grandes et en forme de spatule), celle de ses vertèbres (qui sont très larges et présentent une double épine au-dessus de la vertèbre), ainsi que la robustesse des os du bassin nous montrent que nous avons affaire à un sauropode de taille plutôt modeste (de 15 à 20 mètres) pour un poids assez imposant (une trentaine de tonnes). Il est assez proche morphologiquement de Camarasaurus et appartient donc au groupe plus large des Macronaria, qu’on pourrait traduire littéralement par "Grandes Narines". En effet, les Macronaria ont des crânes assez globuleux, dans lesquels les narines sont beaucoup plus grandes que les orbites qui contiennent les yeux. On peut donc prédire que si l’on trouve la suite du crâne de notre nouveau sauropode, celui-ci possédera de grosses narines. Par ailleurs, les camarasaures sont des sauropodes qui se caractérisent aussi par un cou relativement court. Ces dinosaures avaient la possibilité de le redresser en position un peu plus verticale que les autres sauropodes. Le dinosaure que nous avons découvert devait donc chercher sa nourriture plutôt en hauteur.
Que se passe-t-il après la découverte de ces fossiles ?
La découverte en juillet de ce matériel n’est que le début d’un travail qui va durer plusieurs années. Il nous reste encore de nombreux os à récolter sur le terrain, ce qui n’est pas une mince affaire ! Les éléments fossiles étant en connexion et ne pouvant être désolidarisés sur la fouille, il faut parfois réaliser d’énormes coques en plâtre pour les protéger avant de les extraire. Par exemple, cet été, nous avons réalisé un coffrage pour quatre vertèbres dorsales dont le poids est estimé à 2,5 tonnes. Il faut une logistique très importante pour bouger ces plâtres. Heureusement, nous travaillons avec des carriers qui exploitent les sables et graviers qui recouvrent les argiles à dinosaures et qui mettent des engins à notre disposition. Ceux-ci nous aident à creuser et à sortir les fossiles les plus lourds du site. Il nous faut ensuite trouver un endroit pour stocker et préparer ce matériel en laboratoire : c’est tout l’enjeu actuel, puisque nous essayons de trouver une place au Muséum national d’Histoire naturelle pour effectuer ce travail.
Il faudra ensuite travailler environ un an pour débarrasser les fossiles de l’argile qui les entoure, puis les consolider. Il faudra alors réaliser des supports pour les conserver au mieux dans les collections du Musée d’Angoulême. Il faudra ensuite numéroter, mesurer, photographier, scanner l’ensemble des os pour pouvoir les étudier en détails et donner un nom à notre nouveau sauropode. À ce moment, il ne restera plus qu’à lui trouver une place dans un musée pour qu'il soit présenté au public. Mais remonter un squelette complet de sauropode est une opération longue et couteuse ! D’ici là, comme nous avons l’habitude de le faire à Angeac-Charente, nous espérons pouvoir présenter les premières pièces au public qui vient visiter chaque année le site de fouilles.
Pourquoi le site d’Angeac en Charente est-il si exceptionnel ?
Trouver une deuxième espèce de sauropode à Angeac-Charente, qui soit représentée par un squelette en connexion partielle, était quelque chose de complètement inattendu. Cela ne fait que confirmer le caractère exceptionnel de ce site qui est en passe de devenir un site majeur au niveau mondial. La quantité de fossiles (plus de 100 000 fossiles découverts, dont 10 000 inventoriés, préparés et identifiés), la diversité de ceux-ci (os, empreintes, coprolithes, végétaux, microfossiles), leur qualité de préservation et le nombre d’espèces qu’il représentent (plus de 40 taxons de vertébrés) permettent de reconstruire un écosystème complet vieux de 140 millions d’années. Cela permet également de pousser les recherches scientifiques plus loin que par le passé, et ce dans de nombreuses disciplines (études taxonomiques, taphonomiques, géochimiques, paléobiologiques).
Entretien avec
Ronan Allain
Maître de conférence au Muséum national d'Histoire naturelle (Centre de recherche en paléontologie - UMR 7207)