Recherche scientifique

Chez le frelon asiatique, la couleur ne fait pas l’espèce

Une collaboration entre des chercheurs du Muséum national d’Histoire naturelle, du Laboratoire Evolution, Génomes et Spéciation (IRD-CNRS) de Gif-sur-Yvette, de l’American Museum of natural History et des chercheurs népalais, chinois et indonésiens a permis de caractériser la diversité génétique et le polymorphisme des populations asiatiques du frelon Vespa velutina, espèce devenue envahissante en France depuis une dizaine d’années. L’étude retrace l'histoire évolutive et géographique des différentes populations et permet d'envisager la manière dont les variations de couleur du frelon résultent d’un ensemble de convergences évolutives.

La livrée de nombreuses espèces animales joue un rôle important, notamment pour attirer un partenaire sexuel, se camoufler ou avertir les prédateurs de sa toxicité. Chez les guêpes et les frelons, la signification de ce message est évidente : attention, je pique ! L’acquisition de ces couleurs d’avertissement, dites aposématiques, implique une contrainte sélective : l’animal doit être reconnu comme non-comestible par ses prédateurs. Pourtant, la coloration d’une même espèce de frelon peut varier considérablement selon les régions, ce qui a entraîné longtemps des erreurs d’identification et des confusions dans la taxonomie des espèces. Ce phénomène est particulièrement marqué chez le frelon à pattes jaunes Vespa velutina Lepeletier, 1836 dont l’invasion en France a débuté il y a dix ans. Dans son aire d’origine, le sud-est asiatique (du Pakistan au Sulawesi, en passant par la Chine), cette espèce présente une douzaine de formes aux couleurs parfois très différentes ; la forme nigrithorax, qui est arrivée en France, est commune surtout en Chine.

Afin de clarifier la taxonomie du genre et mieux comprendre les causes potentielles de cette diversité, la présente étude basée sur des marqueurs génétiques et un codage des motifs de coloration a montré que ces variations de coloration ne pouvaient être expliquées par l’histoire évolutive ou la position géographique des différentes populations. Les chercheurs ont établi que plusieurs populations aux couleurs radicalement différentes étaient génétiquement apparentées alors que d’autres aux livrées voisines présentaient de fortes différences génétiques. Ils ont confirmé aussi la proximité génétique de populations autrefois considérées comme des espèces différentes et prouvé ainsi que la coloration à elle seule n’est pas un caractère fiable pour différencier les espèces de frelons.

La principale variation de couleur observée chez les frelons peut s’apparenter à du mélanisme, une accumulation de pigments noirs dont l’intensité dépend d’une combinaison de facteurs, notamment ceux liés aux conditions climatiques. Chez Vespa velutina, cependant, aucune relation entre variations de couleur et climat n’a été mise en évidence.

Les auteurs de l’étude suggèrent que les variations observées sont dues principalement à un phénomène de mimétisme au sein des  communautés d’Hyménoptères « piqueurs » : guêpes, frelons et abeilles. Dans la Péninsule Malaise, les formes endémiques de V. velutina et du bourdon Bombus trifasciatus ont ainsi une coloration orange étonnamment similaire. De même, les reines de deux espèces de guêpes Vespula orbata et Vespula koreensis présentent, dans le sud de la Chine, la même livrée sombre que la forme nigrithorax de V. velutina. Ce mimétisme dit Müllerien1 peut induire des variations de couleur radicales d’une région à une autre en fonction des espèces aux colorations d’avertissement et des prédateurs en présence. Bien documenté dans divers groupes, comme chez les papillons Heliconius par exemple, ce phénomène a été par contre très peu étudié chez les guêpes et les frelons dont la livrée rayée jaune et noire est pourtant l’une des plus célèbres.

Cette étude appelle donc à l’exploration des relations entre colorations d’avertissement et mimétisme chez ces insectes dont la diversité de taille, de couleurs et d’origine géographique suggèrent l’existence de nombreux cas de mimétisme encore non-documentés.

Variabilité de coloration au sein des populations indo-malaises de Vespa velutina

© MNHN - A. Perrard

Spécimens de Vespa velutina des collections du Muséum provenant de différentes îles d’Indonésie

© MNHN - Q. Rome

Références

Perrard A, Arca M, Rome Q, Muller F, Tan J, Bista S, Nugroho H, Baudoin R, Baylac M, Silvain JF, Carpenter J, Villemant C. Geographic variation of melanisation patterns in a hornet species: genetic differences, climatic pressures or aposematic constraints?
PLOS ONE – 16 avril 2014 - http://dx.plos.org/10.1371/journal.pone.0094162