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Microforêts urbaines : que penser de la « méthode Miyawaki » ?

Cette méthode de plantation dense de jeunes arbres dans des espaces urbains connaît un fort engouement en France. Que vaut-elle vraiment ?

Face au changement climatique et à l’érosion de la biodiversité, la reforestation de vastes espaces apparaît comme une démarche vertueuse, fortement encouragée au niveau international ; reforester permet de stocker du carbone, de restaurer des habitats favorables à la biodiversité forestière et, en milieu urbain, de réduire les canicules estivales et d’apporter de nombreux autres services dits « écosystémiques » aux populations citadines.

Parmi les différentes techniques de boisement et de restauration de forêts, la méthode développée par le botaniste et phytosociologue japonais Akira Miyawaki suscite un réel engouement auprès de nombreuses associations citoyennes et l’intérêt des municipalités.

Dans un article récemment publié sur le média The Conversation, des scientifiques de l’Inrae affichent leur scepticisme, estimant que ces « microforêts Miyawaki » ne sont pas vraiment des forêts. Qu’en est-il réellement ?

La « méthode Miyawaki »

En mai 2020, microforêt Miyawaki de la Porte de Montreuil, deux années après la plantation. Boomforest

© CC BY-NC-ND

La méthode Miyawaki consiste à s’inspirer de la composition naturelle des communautés végétales forestières, et des processus dynamiques spontanés dans les forêts, en réalisant des plantations denses et plurispécifiques de jeunes plants d’essences ligneuses, correspondant aux cortèges floristiques naturellement présents sur ces territoires.

L’association Boomforest en propose une présentation schématique stylisée ; de son côté, Toulouse en transition fournit sur son site Internet un « Myawa’kit » en 6 chapitres, comportant toutes les données nécessaires pour créer une telle microforêt urbaine.

Il s’agit de réaliser une plantation dense, de l’ordre de trois « arbres » (ou plutôt 3 jeunes plants ligneux) d’environ 30 à 60 cm de hauteur par m2 sur une superficie de quelques centaines de m2, cela après une importante préparation du sol – fertilisation organique par fumier, compost, apport de sciure. Il faut ensuite arroser et pailler, puis effectuer des retours réguliers les trois premières années pour le désherbage des adventices et l’arrosage.

Parmi les espèces habituellement plantées dans nos régions à climat tempéré, on trouve tout le cortège des arbres feuillus classiques : les chênes sessile et pédonculé, le hêtre, le charme, les érables sycomore, plane et champêtre, le frêne, les tilleuls à grandes feuilles et à petites feuilles, le merisier, l’alisier torminal, etc. Et aussi des arbustes comme les cornouillers mâle et sanguin, les aubépines monogyne et à deux styles, le troène, le fusain d’Europe, le sureau noir, des rosiers et ronces…

Au bout de trois ans, la plantation est considérée comme autonome, évoluant spontanément pour atteindre, est-il dit, un aspect proche d’une forêt mature au bout de 20 ans, c’est-à-dire cinq à dix plus vite que ne le ferait une forêt « classique ».

On le comprend, le but est d’associer un grand nombre d’espèces de diverses essences ligneuses locales en vue de constituer des peuplements denses correspondant à la végétation naturelle potentielle du site. Les espèces et individus les mieux adaptés se maintiendront.

Le concept de « végétation naturelle potentielle »

La méthode Miyawaki, souvent considérée comme révolutionnaire, est en fait dérivée, selon les dires même de son concepteur, de la notion de « végétation naturelle potentielle » ; un concept conçu et développé par le phytosociologue allemand Reinhold Tüxen (1899-1980), qui a accueilli le botaniste japonais comme scientifique invité à sa station d’étude de la végétation de Stolzenau/Weser à la fin des années 1950.

Cette analyse de la végétation naturelle potentielle a également été largement développée et appliquée en France sous l’impulsion de Jean‑Marie Géhu (1930-2014), également élève de Tüxen et fondateur de la station internationale de phytosociologie de Bailleul (Nord).

C’est aussi à Jean‑Marie Géhu que l’on doit la première carte française de végétation naturelle potentielle, publiée en 1979 à l’échelle des 250 000e et relative au nord de la France.

Un développement quasi exponentiel en France

Originaire du Japon comme son concepteur, la méthode Wiyawaki connaît un développement important en Europe de l’Ouest depuis cinq ans, ce qui est très récent, à l’initiative de l’entreprise belge Urban Forest, spécialisée dans la création de « forêts urbaines participatives 100 % naturelles et rapides selon la méthode Miyawaki ».

Elle a été mise en œuvre pour la première fois à Paris en mars 2018, par l’association Boomforest en partenariat avec la ville ; 1 200 plants d’une trentaine d’espèces ligneuses ont été plantés sur une portion de 400 m2 d’un talus du boulevard périphérique à la porte de Montreuil (XXe arrondissement). Une seconde opération du même type a été réalisée l’année suivante par le même organisme sur 500 m2 à la porte des Lilas (XXe arrondissement) ; puis, en 2020, deux autres opérations ont été menées sur 200 m2 dans le quartier des Hauts de Malesherbes (XVIIe arrondissement) et sur 250 m2 sur le campus de l’université de Nanterre.

Budget Participatif - Boomforest : la biodiversité Porte de Montreuil

© Ville de Paris

En parallèle, l’association MiniBigforest a créé sa première microforêt Miyawaki à Sorrinières, près de Nantes, en décembre 2018 avec la plantation de 600 plants de 30 espèces différentes sur 200 m2.

La même démarche a été menée par l’entreprise Trees Everywhere avec la plantation, en novembre 2019 à Boursay (Loir-et-Cher), de 3 000 plants de 30 espèces ligneuses différentes sur une parcelle de 1 000 m2 ; puis, en décembre 2020, de 2 400 végétaux sur une autre parcelle de 800 m2 dans la même commune rurale.

Des actions similaires de création de microforêts urbaines ont été lancées en mars 2020 à Toulouse (plantation de 1 200 plants de 22 espèces locales sur 400 m2), puis en novembre 2020 à Bordeaux sur 240 m2 à l’emplacement d’un parking, opération qui s’inscrit dans le cadre d’un ambitieux plan de plantation de pas moins d’un million d’arbres sur le territoire de la métropole bordelaise.

La région Grand Est est également fortement engagée dans cette dynamique. En réaction à la décision, en 2018, de construction du Grand Contournement Ouest de Strasbourg, l’association citoyenne Colibri Forest a entrepris, avec un budget de 3 000 euros, de planter 300 individus de 27 espèces ligneuses différentes sur une parcelle privée de 100 m² à Scharrachbergheim (Bas-Rhin).

Plus récemment, en janvier 2021, un collectif de citoyens a proposé, sur le budget participatif de la ville de Strasbourg, un projet de plantation de 750 plants ligneux sur 250 m2au beau milieu de l’avenue du Rhin.

Mais l’opération la plus importante de cette région (et sans doute de France) vient d’être lancée fin février-début mars 2021 avec la plantation de pas moins de 24 000 plants ligneux de 40 essences différentes sur 8 000 m2 (une bande de 500 m de long et 10 à 30 m de large) le long de l’A36 au nord de Mulhouse.

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© France 3 Grand Est

Lyon n’est pas en reste avec une opération engagée de plantation de 4 500 à 6 000 plants ligneux par la Société anonyme de construction de la ville dans le quartier de la Duchère (IXe arrondissement).

De nombreux autres projets sont en cours de réalisation ou ont été engagés récemment dans d’autres villes françaises, cette méthode étant de plus en plus plébiscitée par les collectivités territoriales, des initiatives citoyennes et même des particuliers, propriétaires d’un lopin de terre.

La méthode Miyawaki, une des actions de végétalisation urbaine

La connaissance de la « végétation naturelle potentielle » donne des indications précieuses sur les cortèges floristiques globaux et les communautés d’espèces végétales indigènes du territoire, ainsi que sur leurs dynamiques évolutives. Ces informations pourront permettre de définir les mélanges types pour réaliser, dans les meilleures conditions, les plantations prévues pour ces microforêts urbaines.

Il convient toutefois de prendre en compte les conditions stationnelles plus précises des sites prévus de plantation, comme la nature et la profondeur du sol, le régime hydrique (zone inondable ou à déficit hydrique), ainsi que le microclimat (exposition ensoleillée ou ombragée) ; ceci afin d’adapter les listes d’espèces à planter à ces conditions stationnelles, plutôt que d’avoir un cortège unique de référence pour un territoire donné.

Par ailleurs, il serait judicieux de prendre en compte et d’anticiper les modifications d’aires potentielles de répartition des essences forestières et donc aussi de dynamique végétale, prévues d’ici la fin du siècle suite au changement climatique, qui n’était pas pris en compte il y a quelques décennies. Ces évolutions climatiques pourraient conduire à envisager d’intégrer également dans les cortèges ligneux certaines espèces non natives du territoire, mais mieux adaptées aux nouvelles conditions.

Enfin, une géométrie linéaire ou sinueuse des zones de plantation permet d’accroître la surface bénéficiant réellement du boisement grâce aux effets de bordure avec les espaces avoisinants, tant au niveau du sous-sol pour l’extension du système racinaire que de l’espace aérien pour le déploiement de la canopée.

Au contraire, des plantations effectuées sur des superficies compactes de plusieurs hectares (dans des espaces ruraux, par exemple) seraient vouées à évoluer naturellement vers des forêts « classiques » (avec des densités d’arbres se réduisant progressivement pour atteindre des valeurs habituelles), ou sinon les arbres resteront « rachitiques » (et condamnés à dépérir) du fait de la compétition pour les ressources du sol, l’alimentation en eau et la lumière.

En plantant 3 plantules d’arbres et d’arbustes d’environ 30 à 80 cm de hauteur et 1 à 2 cm de diamètre par m2, on n’aboutira évidemment pas au bout de 50 ans, à 3 arbres de 15 à 20 m de hauteur et de 30 à 40 cm de diamètre au m2 !

Le nombre restant de « vrais arbres » sur la parcelle à cette échéance dépendra des essences plantées, de leurs conditions de croissance, des ressources du milieu, des effets lisières, mais il sera vraisemblablement 10 à 100 fois plus faible que celui du peuplement initial, comme souligné dans l’article des chercheurs de l’Inrae.

La plantation aboutira plutôt, pour les petites surfaces de plantations, à des bosquets – selon la définition de l’inventaire forestier – assez denses, pouvant ainsi constituer des îlots de fraîcheur et de refuge pour la biodiversité.

Les chiffres mentionnés de rapidité de croissance (10 fois plus rapide, mais selon quels paramètres ?) et d’importance de biodiversité (20 à 100 fois plus importante ou plus dense selon les documents, mais comment est-ce calculé ?) laissent plutôt perplexe, surtout pour des surfaces plantées de si petites dimensions, et devraient faire l’objet de suivis scientifiques et d’études plus précises.

Plutôt que le nombre d’arbres (qui va forcément évoluer), ne serait-il pas plus juste de comptabiliser les m2 boisés par cette méthode ? Ainsi la plantation annoncée à Paris de 170 000 arbres d’ici à 2026, si elle était réalisée exclusivement selon cette méthode (donc à raison de 3 à 4 plants de jeunes arbres au m2), conduirait à une végétalisation ligneuse d’environ 50 000 m2, pouvant correspondre à 100 nouvelles microforêts de 500 m2 ; cela serait sans aucun doute très appréciable, mais ne représenterait qu’une superficie de 5 ha de nouveaux espaces boisés, pour une superficie de la ville de 10 500 hectares.

Un objectif ambitieux d’accroissement du couvert arboré et du nombre d’arbres dans les villes ne peut donc pas se limiter à la création de ces « microforêts Miyawaki ».

Mais il est souhaitable que cette nouvelle approche, séduisante et mobilisatrice d’enthousiasme et d’adhésion citoyenne dans le cadre de projets participatifs, prenne toute sa place dans la panoplie des actions à développer, au côté des plantations d’arbres en ligne dans les rues, de l’extension des squares et parcs boisés, ainsi que de la création de « forêts urbaines » moins denses mais plus étendues, afin d’assurer une végétalisation accrue des zones urbaines.

Serge Muller, Professeur, chercheur à l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (UMR 7205 ISYEB, CNRS, MNHN, SU, EPHE), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation